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Une mort dans la famille, James Agee (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy 21.04.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Titres (Christian Bourgois)

Une mort dans la famille (A Death in the Family, 1957) James Agee, traduit de l’américain par Jean Queval, 443 p. 8,10 €

Une mort dans la famille, James Agee (par Léon-Marc Levy)

James Agee, assurément l’un des grands de la littérature sudiste, constitue un cas à part : on le connaît au moins autant par ses reportages – il était journaliste avant de devenir scénariste et écrivain – magnifiquement accompagnés des photographies de paysans de condition précaire de Walker Evans (qui serviront, entre autres, de couvertures aux éditions Folio pour l’œuvre de William Faulkner) que par son œuvre littéraire.

Et pourtant. Un trésor encore, enfoui dans la terre du Sud, mine inépuisable de chefs-d’œuvre littéraires. Un récital stylistique, alternant, à la manière du Faulkner de Moustiques, les dialogues du quotidien et les flux de conscience imparables, sublimes. Un petit garçon regarde la vie, apprend à aimer, à perdre, à pleurer.

La lecture de Une mort dans la famille est une plongée dans la précarité de l’âme et du cœur. L’enfant Rufus – le prénom vient signer le caractère autobiographique du roman, James Agee s’appelait James Rufus Agee – voit, du fond de son cœur d’enfant, un monde doux, aimant, heureux, se briser en une annonce tragique et apprend ainsi la nature même de l’humaine condition, sa fragilité, la fatalité qui l’accompagne comme une ombre. En plongeant son doigt dans le cendrier abandonné de son père sur le bras d’un fauteuil, Rufus découvre « le goût des ténèbres » nous dit Agee.

Rufus voit et raconte. Agee utilise la candeur, la naïveté, la capacité d’étonnement de l’enfant pour déconstruire la réalité. Les questions de Rufus sont les questions que nous ne nous posons pas – par habitude, par égarement – et qui sont pourtant des questions essentielles, ontologiques, métaphysiques souvent. Agee décortique la perception du bonheur, de l’étrangeté, du malheur, de la douleur et de l’apaisement chez un petit garçon de cinq ans et nous demande dès lors qui et que sommes-nous. Ainsi dans ces promenades vespérales avec son père tant aimé.

Il savait qu’une grande partie de son bien-être tenait à ce qu’il s’attardait pendant quelques minutes loin de chez lui, dans un grand calme, à écouter remuer les feuilles, à regarder les étoiles ; et que sa propre présence à lui, Rufus, était tout aussi indispensable à son bien-être. Il savait que tous deux savaient le bien-être de l’autre, et les raisons à cela ; et à quel point chacun comptait plus pour l’autre, de cette façon incomparable et capitale, que qui ou quoi que ce soit dans le monde ; enfin que le meilleur de leur bien-être reposait dans ce savoir mutuel, lequel n’était ni caché ni révélé. Il savait ces choses tout à fait distinctement, mais, bien sûr, pas de la façon dont nous le laissons entendre avec des mots. Il n’y avait pas de mots, ni même d’idées, ni d’émotions claires, et de la sorte suggérée ici, ni chez l’homme ni chez le garçon enfant.

La puissance d’Agee est de ne jamais céder – même après l’irruption brutale du malheur – à la tentation d’un sempiternel « roman initiatique ». Nulle initiation ici, à rien, si ce n’est au chaos de la vie, à son désordre structurel, à son absence de sens lisible. Rufus va réagir aux événements qui vont détruire ce qui lui semblait constituer un ordre, et, comme ces événements, ses réactions seront saugrenues, inattendues, désordonnées. Pour « initier » à une chose il faut qu’elle ait une logique or, quelle logique peut-on entendre à l’effondrement de ce qu’un petit garçon pensait être l’ordre céleste éternel, celui vers lequel il aspire et prie. Agee pointe la sacralité du rapport de l’enfant au Père, à la Mère, en faisant des figures d’une liturgie familiale aux accents clairement bibliques.

J’entends mon père ; il n’y a rien jamais que je puisse craindre.

J’entends ma mère ; je ne serai jamais seul, ou jamais ne manquerai d’amour.

Quand j’ai faim c’est eux qui pourvoient à ma faim ; quand je suis dans l’effroi, eux me consolent.

Quand je suis stupéfait ou perdu, c’est eux qui sous mon âme affermissent un sol débile : en eux je place ma confiance.

Quand je suis malade, ils font venir le docteur ; quand je suis en bonne santé et heureux, dans leurs yeux je sais au mieux que je suis aimé ; et c’est vers la lumière de leur sourire que j’élève mon cœur et dans leur rire je connais l’exultation.

La mort au cœur de ce roman trace la ligne de partage entre les adultes, assaillis par les regrets et les obligations, et l’enfant – Rufus – qui la perçoit sans symbolisation, comme un fait, une annonce qu’il faut diffuser au monde.

L’alternance de longs passages marqués au sceau de la banalité quotidienne – des dialogues insignifiants – et de retour dans l’âme profonde des personnages souligne, met en exergue le second – laissant toute place à la célébration intérieure.

L’œuvre de James Agee tout entière est un témoignage poignant de son amour des hommes.

 

Léon-Marc Levy


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A propos du rédacteur

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /