Une femme en politique, Germaine de Staël, Erik Egnell
Une femme en politique, Germaine de Staël, novembre 2013, 400 pages, 22 €
Ecrivain(s): Erik Egnell Edition: Editions de FalloisSur la fin de sa vie, elle disait, avec l’enthousiasme qu’on imagine, à Wellington : « parler politique, pour moi, c’est vivre ! ». Des kyrielles, aujourd’hui, femmes et hommes mélangés, ne seraient pas capables d’en dire autant ! Et, on voudrait aussitôt le dédier à nos femmes de la parité, face à leurs élections, ce printemps, qui bataillent tant et l’auraient aimée des leurs, cette Germaine « génie mâle dans un corps de femme », au dire de Lamartine qui pleura la Dame du lac, à Coppet.
Car, De Staël – elle mérite ce nom d’homme, seul – quelle femme, quel toupet, quel talent ! on s’autorise à dire : quelle gueule ! Quelle trajectoire aussi – c’est un film à grand spectacle, un road-movie, également, qui défile à brides abattues, quand on accompagne sa vie, dans cette formidable saga-biographie, s’avalant comme un roman, d’Erik Egnell. Meryl Streep, sans doute, la porterait avec panache et roulement de sentiments…
On nait où et quand on peut, et chacun n’a pas eu – chance ou pas – une vie au croisement de la Révolution Française, de l’Empire et de la Restauration. Superbe baptême pour qui veut vivre en politique – un contexte porteur, dirait-on aujourd’hui ; mais aussi un « grand bain » dangereux, où il vaut mieux savoir nager, faire la planche de temps à autre, pour continuer et, s’arrimer au ponton d’arrivée – vivant… et la route de Staël est de ce tonneau-là.
Fille Necker – le financier, ministre de Louis XVI – au bord du Lac Léman – culture, économie, politique, ouverture sur l’Europe, voyages… dès onze ans ! Germaine assiste aux salons de ses parents. Fin de l’Ancien régime ébranlé par le fleuve des Lumières, le « salon » sert « à côté des clubs, sa variante populaire, de creuset à la politique ». A peine finie une adolescence lettrée à l’ombre de son père adoré, « avoir son salon à Paris deviendra le sens de sa vie » pour Germaine, dont la science de l’éloquence atteignit un niveau exceptionnel, au moins égal à ses qualités littéraires. Simple art de la conversation, en aval des Précieuses ? Mieux que ça ! agencer ses invitations – qui, avec qui – concocter les mises en relation, écouter, valoriser, convaincre, militer. Manipuler, un brin, sans doute. Diplomatie de belle facture, qu’elle sut tricoter, de régime en régime, par delà les prisons, censures et autres guillotines. En même temps que sa formidable énergie, ou baraka, lui permettait de survoler ces temps si denses de l’Histoire, comme d’une montgolfière qui jamais ne tombe, et nous ramène, via ses lettres, essais et théories politiques, mélangés à quelques récits de voyages, le parfum de ce temps perdu, grâce à elle, retrouvé…
« A peine ma voiture avait-elle fait quatre pas, qu’au bruit des fouets des postillons, un essaim de vieilles femmes sorties de l’enfer, se jettent sur mes chevaux et crient qu’on doit m’arrêter, que j’emporte avec moi l’or de la nation… » (la Terreur).
Seul son statut d’ambassadrice de Suède, par ce mariage De Staël, que prudemment elle ne rompît jamais, lui a permis de se réfugier ailleurs, et d’échapper, au pas de sa berline lancée sur les routes d’Europe, au sort d’une Madame Roland, par exemple. Germaine est trans-nationale ; ce qui la sauve, ce qui la définit. C’est déjà l’Europe, le balbutiement de son concept, et ce n’est pas le moindre intérêt de sa vie, à nos yeux.
Le titre du livre « une femme en politique » cerne le propos, et, si Erik Egnell s’autorise de petites excursions en littérature pure – « Corinne » par exemple –, c’est pour en ouvrir les pages dans le contexte précis de leur écriture ou de leur écho. De même – remarquables images d’elle – quand il éclaire la personnalité amoureuse – un brin croqueuse d’hommes à la moderne – d’une femme « actuelle », et probablement en avance sur pas mal d’entre nous, qui aime, quitte, veut divorcer, reste mais avec conditions, s’éloigne, aime encore, et peu lui chaut les scandales… phare à sa façon, cette Germaine-là, et bien au-delà de ses cinquante années d’activité terrestre ! Debout, évidemment.
Staël en politique : une femme des Lumières. D’un bout à l’autre de sa vie, avec les ambivalences de la chose. On pourrait dire : point, barre. Admiratrice – lettre et esprit – de Montesquieu et de Jean-Jacques. Un seul modèle : le Parlementarisme représentatif, excluant le suffrage universel. Son idéal – celui du père – la Monarchie constitutionnelle à l’anglaise qu’essaiera la Révolution. Des pouvoirs séparés, encadrés, à ses yeux, « raisonnables ». Un peuple, différencié constamment de la « populace ». Dirigé par la main experte de parents bienveillants, mais dans une logique inégalitaire. Rien de républicain (à notre sens actuel) en elle – malgré pas mal d’hésitations ; le mot égalité est écrit sur ses pages, bien plus petit que liberté. Refrain entendu ailleurs, de la non-maturité, du « pas encore prêts » de ces masses, tenues si loin de ses salons… la politique des mots, des institutions élitistes. Marx, bien sûr est encore dans la brume !
Les hommes de sa vie – nombreux – comme autant de pierres balisant son parcours, sonnent, tous, politique (Staël est une femme à Hommes, qui tient debout toute seule. Sa séduction est avant tout intellectuelle, et fortement charismatique). Son père, bien sûr ; Benjamin Constant – ce « républicain qui finira par convaincre (ébranler) la monarchiste », en attendant les Fouché ou Talleyrand, précédant de peu ce redouté Chateaubriand, qui concevait mal la concurrence (d’une femme ?) dans le rôle de l’opposant à Napoléon. C’est l’image que chacun garde d’elle : Staël, dressée contre l’Empire. Vigie d’on ne sait quelles libertés brandies contre « l’ogre ». Egnell reprend cette représentation simpliste et vieillie. Là, comme presque tout le temps, Germaine a « voulu être : la maîtresse de maison recevant le Tout-Paris politique, la confidente, l’inspiratrice des décideurs du moment ». Elle a – on pourrait dire – couru après, harcelé Bonaparte : « elle lui écrivait de longues et nombreuses épitres pleines de feu…», n’hésitant pas, dans cette toute puissance qui fabrique un pan entier de sa personnalité, à s’étonner de son choix de Joséphine, plutôt qu’elle ! Elle a fréquenté Bernadotte, regimbé quand – dès le Directoire – Napoléon Bonaparte l’a taxée d’« idéologue » ; et elle, lui renvoyant un « idéophobe » de la meilleure eau. Le régime impérial aurait cherché à plusieurs reprises à négocier sa plume – souhaitée, louangeuse et bonne propagandiste – contre un retour d’exil. C’était mal connaître ce qu’elle avait, construit en elle, depuis l’enfance, de rétif, et c’était faire bon marché de son « idéologie » ! Son exil, à elle, n’eut rien du sombre du Guernesey de l’autre à venir. Sonore des conversations des salons, empli d’écritures véhémentes, remuant, et bigrement voyageur : déjà âgée, ne fit-elle pas, pour entrer en Angleterre, en contournant la police impériale, le détour par la Russie ! Et la Suède !
A part, unique – Staël, Madame ! – cohérente, au bout, dans les visées-visions politiques, de sa longue traversée. Jamais franchement opportuniste, résistante à sa façon. Femme, à la hauteur de tant d’hommes de son temps. On la quitte, nostalgique ; c’est peu dire qu’elle nous touche ! Ici et maintenant, elle parle encore… la dame des salons.
Martine L Petauton
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