Une étude noétique - à propos de Pascal et Rouault, de Bernard Grasset
Pascal et Rouault, de Bernard Grasset, éd. Ovadia, mai 2016, 20 €
Avant d’en venir au propos que m’a inspiré le dernier livre de Bernard Grasset, je préciserai que ma connaissance de Pascal est sujette à beaucoup d’imperfections et de lacunes, car je n’ai pu lire l’ensemble des fragments des Pensées que de façon discontinue, ce qui fait que le principe profond de ce livre m’a parfois échappé. Pour ce qui concerne Georges Rouault, j’ai un meilleur point de vue car sa peinture fait partie de mon répertoire d’images. Il n’en va pas de même de sa poésie, dont j’ignorais l’existence. Je dis cela de manière à décrire mon chemin de lecture, même fautif.
Cependant, cette lecture de Bernard Grasset a été un moment important dans ma vie de lecteur, car j’ai reconnu dans les œuvres respectives du philosophe et du peintre une valeur transcendantale. En effet, pour le lecteur de la Bible, et particulièrement de la traduction dirigée par Lemaistre de Sacy, le contenu métaphysique des œuvres est très visible. Cela ouvre sur des questions d’une grande importance pour les créateurs. Et déceler ici ou là dans la peinture religieuse de Rouault, ou dans la pensée scientifique de Pascal, les traces de l’influence biblique, est de toute première importance.
Voilà pour quelques préliminaires. Mais il faut maintenant regarder comment B. Grasset met en valeur ces liens. Et voir comment l’auteur englobe deux pensées, dont les foyers sont éloignés dans le temps (le XVIIème siècle et le tournant du XXème siècle), et grâce au livre commun, la Bible, décrit les conceptions religieuses des deux artistes en question. L’un et l’autre inspirés de ce que B. Grasset appelle la mens spiritualis. Et cela sans dénier le caractère parfois très différent, à ce sujet, des deux œuvres. Je ne peux évidemment pas mettre en doute cette thèse, car l’auteur à soutenu son doctorat sur l’œuvre de Pascal, et cette spécialisation laisse entendre tout le sérieux du but de ce livre qui paraît dans une collection qui porte le beau nom de Chemins de pensée.
L’auteur soutient avec raison que les deux créateurs sont artistes de la Croix. Il débusque finement en quoi les œuvres étudiées laissent entendre une forme sensible de l’exégèse biblique, voire de l’influence de la patristique. Et même si cela part soit d’une connaissance scientifique soit d’une approche cordiale, il faut écouter le message métaphysique du peintre et du philosophe (sachant avec précision que les Pensées était un des deux livres de chevet de Rouault – l’autre étant la Bible). Oui, ce qui importe vraiment, c’est l’idée qui domine ici, d’une intelligence spirituelle qui se joue des effets éphémères des contingences, pour gagner le cœur solitaire et haut de l’œuvre d’art.
Nous sommes donc dans une étude noétique, qui cherche et recherche la spiritualité, la métaphysique des œuvres. Cette étude d’ailleurs procède par cercles concentriques, grâce à des articulations conceptuelles qui ne sont pas progressives mais donnent d’emblée le thème poursuivi au sein de l’ouvrage. Pour mieux m’expliquer, je dirai que cette étude pourrait être ce que la musique appelle l’ostinato. L’auteur étreint le sacré et revient toujours au centre de son analyse : l’exégèse biblique. Donc de cercle en cercle, par bonds réguliers et comme par une sorte de piétinement (comme la prière piétine elle aussi en un sens), nous traversons le monde du philosophe et du peintre, à la lumière convexe de la Bible, l’un depuis une lecture scientifique et l’autre une approche sensible.
Du reste, le travail de cette pensée circulaire se développe autour de grands thèmes, de grandes oppositions simples et parlantes : l’ombre et la lumière, la pensée et le sentiment, le vrai et le faux, le raisonnement raisonnant et la spiritualité, la chair et l’esprit et tous les couples tels que la pensée conceptuelle de Pascal ou de Rouault pourrait dépeindre. Donc, se joint à la vision en cercle une analyse bipolaire, à deux foyers qui se complètent et s’éclairent mutuellement. Mais sans oublier les mots importants du livre – issus eux-mêmes du Livre spirituel – que sont : la foi, l’humilité, la connaissance de Dieu ou la mystique par exemple.
Il faut aussi signaler la qualité de l’expression dont certains titres de chapitres sont révélateurs, le style de l’auteur. Au hasard : Bien et grandeur, Mal et misère, L’homme et le sacré, Ténèbre et lumière,Vision et salut… Cela reflète à mon sens les choix de Bernard Grasset, ceux de poursuivre une lecture d’intelligence dans les deux vastes corpus littéraires et peints des deux artistes, à la lumière toujours forte et égale de la Bible. On pourrait dire que cette herméneutique se compose de très peu d’éléments essentiels : l’homme et le Christ, la vision anthropocentrée et une autre christo-centrée, qui ne s’opposent pas mais se complètent.
Pour finir ici mon propos, je voudrais quand même conclure avec les mots-mêmes de Bernard Grasset, en citant les lignes synthétiques de cette double étude : Pascal et Rouault :
Le Miserere, en son économie de contrepoints entre profane et sacré, fini et infini, ombre et lumière, chute et rédemption, apparaît incompréhensible hors de l’Apologie. Tant est grande leur proximité, on peut affirmer que sans les Pensées, le Miserere n’aurait pas existé, ou tout au moins pas sous cette forme. Pleines de passion pour l’homme et pour l’Être infini, ces deux œuvres invitent au temps du crépuscule, de la nuit, à guetter, comme le veilleur du De profundis, l’aurore.
Didier Ayres
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