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Une Épiphanie, Alexis Bardini (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 17.05.21 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Une Épiphanie, Alexis Bardini, Gallimard, mars 2021, 104 pages, 12 €

Une Épiphanie, Alexis Bardini (par Didier Ayres)

 

Poème au carré

Le livre d’Alexis Bardini m’a interpellé, autant par le régime poétique de son texte, que par le nombre de réflexions à quoi convie ce recueil. Du reste, l’aspect intellectuel de l’ouvrage prend souvent le dessus, ce qui m’a entraîné, dans ma prise de notes, à revenir davantage sur l’intellection du poète sur son travail, qu’à me concentrer sur une étude musicale de cette herméneutique. C’est en cela que le poème est au carré, multiplié par sa propre substance, sa force. Et dans cette architectonique des vers, il me semble que recueillir le monde dans sa netteté importe moins à A. Bardini que de définir l’acte qui le lie à son énoncé. En un sens, le but latent et supposé en général de l’occupation poétique, celle de rendre acceptable l’univers qui entoure le rédacteur et le lecteur, en passe dans ce livre par une conception du monde comme phénomène de l’écriture, comme si l’écriture enveloppait plus que le simple monde lui-même.

Poésie qui circonscrit la poésie, donc. Circonscrire la pluralité physique pour la combiner à des signes, à un répertoire à la fois sobre et pauvre – et il n’y a rien pour moi de dégradant, au contraire –, s’épanouit dans les sables, l’eau, la mer, les voix, la nuit et les visages qui se combinent. Langage poétique seul. Un état du langage. Une langue qui prête l’esprit à la lettre.

Quelques citations :

Et les mots sortent de ta bouche

Comme un troupeau qui se disperse

Ou

Notre lieu est un lieu que rien n’entoure

Ou

Le soir n’a plus sommeil

Il a jeté ses draps

Nos mots sont nus

Ou

Tout réside dans l’angle mort d’un mot

En ce point très précis

Où la couleur est privée de lumière

Ou

Tu voudrais que ma parole tienne debout

Dans les mots que je couche

Ou

Les murs de notre demeure sont bâtis de paroles

Allons plus loin un instant voir à quoi entraîne la pratique de la poésie. Car en définitive, le but du poème, c’est le poème. Du reste, celui-ci efface la réalité, découpe pour agrandir, faisant sonner le silence, nous apprend la beauté éternelle de la violence ou de l’anxiété par exemple. C’est à la puissance de l’esprit qu’il faut revenir.

Je dirais que cette poésie qui reste musicale, contient évidemment une musique des mots, mais aussi une science de la signification.

Le mot de sa lame sépare

Tout ce qui nous unit

Le mot entier quitte ma bouche

Un abandon effleurant le réel

Comme tes doigts ma peau

Sous l’écorce bleue de la nuit

Et véloce et fugace

Le souvenir d’une eau

Un rêve d’Italie

Dans les paroles qui s’enlacent

À la surface de ta langue

Cependant je ne crois pas que nous nous trouvions devant une poésie à thèse, même si l’on est invité à penser le poème et à suivre la pensée du poète le long de sa quête de sens, au sein d’une écriture qui vit par elle-même d’elle-même. Elle rend possible l’impossible combustion ou plutôt la victoire du feu de l’écrit sur sa propre nomination. En mathématique on pose un exposant pour produire le carré d’un nombre ; ici, on pose la réfraction miroitante, l’aperçu d’une métaphysique, sur le poème. Dès lors on se trouve dans une algèbre littéraire capable de pousser chacun vers la vérité sienne du langage. Symbolisme binaire de l’épiphanie : sacrée et charnelle, celle de l’offrande des rois.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.