Une chance minuscule, Claudia Pineiro
Une chance minuscule, mars 2017, trad. espagnol (Argentine) Romain Magras, 261 pages, 22 €
Ecrivain(s): Claudia Piñeiro Edition: Actes Sud
Absolument prenant. Au croisement – subtil mélange – du récit peut-être autobiographique ou pas loin, du thriller, du drame intimiste. Plongée en apnée au fond des composantes troublantes d’un « soi » qui n’est pas celui de n’importe qui. Vraie réussite que ce Une chance minuscule, peut-être parce qu’il est composé de tout ce qui définit la littérature, dans le vaste comme le simple : d’abord une histoire racontée, des personnages et situations qu’on enfourche sans redescendre, et puis, une écriture et une architecture. Sans oublier une musique, un rythme, qu’on n’oubliera pas…
En Argentine, de nos jours – ce n’est pas sans intérêt – mais transférable partout, pour peu qu’on reste dans une bourgeoisie bienséante et catholique. Une famille, maison, école – le chic collège Saint Peter dans le grand Buenos Aires ; la femme qui parle y enseigne un peu pour s’occuper sans doute et son fils y est scolarisé. Usages précisément détaillés de riches contemporains comme il en est ailleurs. Elle s’ennuie et le mari – chirurgien – amasse. Terre et ciel, comme on dit de certains. Des familles en arrière-plan, la sienne, modeste, bercée par Piazzolla, celle de l’époux, abondante, quelque peu invasive, se voulant protectrice comme on sait l’être en Amérique Latine. Un seul enfant, un garçon, le héros-double, reflet présent/absent de l’histoire de sa mère.
C’est le récit de Maria Elena, nom qui était le sien quand elle vivait en Argentine, mais aussi de Mary Lohan, celle qu’elle est devenue en vivant à Boston (« la vie que je me suis construite à Boston lorsque j’ai cessé d’être celle que j’étais »). A ce récit, s’adjoindront progressivement des bribes de celui de son fils.
Dès la première page, apparaît une drôle de facture de construction du récit, un court passage : « la barrière était abaissée. Elle freina, derrière deux autres voitures. Le signal d’alarme brisait le silence de l’après-midi… » ; on va retrouver plusieurs fois cet étrange intermède ; crème empoisonnée fourrant l’histoire ; à chaque fois, un peu plus long et plus explicite… un train, donc, une voiture et des enfants à l’intérieur…
Celle qui parle – la mère et l’Argentine d’antan – revient de nombreuses années après, à Buenos Aires, évaluer – on saura tout, du coup de ces usages nord américains de l’enseignement, et c’est intéressant – le collège Saint Peter, postulant pour un partenariat avec l’école de Boston, son personnel, ses méthodes. « Quand peut-on dire que l’on revient vraiment, que l’on foule à nouveau la terre où l’on est né ? ». Histoire d’un retour – qu’elle veut incognito ; tout le déroulé du récit est celui du pourquoi ? Et au fur et à mesure qu’on perçoit les réponses – en une approche émouvante, haletante, qu’on s’efforce de n’être en rien voyeuse – de tous les comment qui l’accompagnent. Histoire d’une fuite, d’un départ obligé, sorte de substitut au suicide, avec un gamin de six ans, flouté au fond de l’écran. Histoire d’une culpabilité et dans le même temps, montée en puissance de la volonté impérieuse de se justifier, et d’affronter les faits. Histoire donc, d’une maturité, d’une marche vers une renaissance plus que passionnante pour nous. D’aucuns liront le chemin de Maria-Mary comme celui d’ une résilience. Indices multiples et férocement pointilleux des traces de sa vie antérieure – Claudia Pineiro a cette forte capacité descriptive qui fait défaut dans tant de livres – vie de femme et de jeune mère, mais bien autant, vie de petite fille à la mère « fatiguée », comme on dit pudiquement, réveillée par des chauves-souris – pardon, des crottes – sur un balcon, tant d’années après. Touches, comme celles d’un pinceau qui peu à peu dévoile la toile impressionniste plus que franchement réaliste et son sujet. Superbe maestria tant narrative que littéraire du bâti progressif de la femme autre, et la même pourtant.
Au cours de l’évaluation du personnel du collège « le professeur d’histoire… Federico Lauria, son nom que je ne connais que trop… sa main qui s’approche tout près de la mienne, pour effectuer quelque chose de tellement banal, me donner un stylo qui vient de tomber par terre… Une main que j’ai connue et que je reconnais encore aujourd’hui… il me salue et s’en va. Mon fils s’en va ».
Lire, on l’aura compris, comme une urgence littéraire et bien autant humaine Une chance minuscule, sans doute un des roman–récits, ou récit-romans les plus forts de la saison.
Martine L Petauton
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