Un vent les pousse, Frédéric Bécourt (par Philippe Chauché)
Un vent les pousse, Frédéric Bécourt, Accro Editions, mars 2023, 208 pages, 19 €
« L’admiration de Gilles pour sa fille ne connaissait aucune limite. Elle était sa principale force et sa plus grande faiblesse. La source de toutes ses joies, aussi, et l’unique objet de ses angoisses ».
Un vent les pousse est le roman d’une folie, d’une folie administrative et sociale qui va frapper un père et sa fille. Pour quelques mots échangés entre deux jeunes enfants dans la cour de leur école, la machine éducative va s’échauffer et entrer en fusion. La petite Chloé âgée de 5 ans est accusée par une enseignante d’avoir tenu des propos racistes envers un autre enfant, Souleymane : Laisse-moi, tu sens mauvais, … Rentre chez toi, ou rentre à ta maison. Dans les temps du roman, ministère, inspecteurs et enseignants veillent au grain, au bon grain, et à bien le séparer de l’ivraie. Pour cela un protocole est activé, et l’enfant doit être soumise à des tests psychologiques, la vigilance est de tous les instants, chaque mot et réaction des enfants pesés sur la balance sociale.
Tout cela ressemble pour le moins à un mauvais rêve, ou à un avenir radieux, dans une France de demain inspirée par Mère et Père Ubu, et sous la bénédiction d’un dictateur à grosse moustache. Mais le père va contrarier ce scénario rêvé, mauvais joueur, il va refuser de se plier aux demandes du ministère de l’éducation nationale, rebaptisé dans ce roman : ministère de la Transmission des Savoirs, du Respect des Cultures et des Valeurs de la République. Il va faire un pas de côté, rencontrer une journaliste piquante et tranchante de la rédaction d’Avenue Foch, un quotidien en ligne très conservateur, un magistrat aristocrate retiré des Tribunaux et du Monde, et tomber sur un couple très étrange et fort bien organisé, qui enlèvera la petite Chloé des mains de sa mère pour la rendre au père coupable, l’invitant à prendre la fuite avec sa fille, avant que sa mère ne l’en prive définitivement. Et l’on est saisi, ébloui par ces personnages d’Un vent les pousse, Frédéric Bécourt leur donne vie, avec leurs outrances, et parfois leur folie, leurs colères, et leurs croyances, et des éclairs d’humanité qui par instants les éclairent, peut-être rêvent-ils eux aussi à un avenir radieux, pour le moins sont-ils nostalgiques d’un temps passé, où quelques mots d’enfants ne devenaient pas des règlements de compte d’adultes, passés maîtres dans l’art de la surinterprétation sociale. La force du roman s’appuie sur ces révoltés du pas de côté, qui voient dans ce père floué l’image de la vie qui l’est tout autant.
« Il affectionnait ce sentiment de n’être qu’un observateur distant, insaisissable et sans épaisseur, une illusion quelque part entre deux existences. C’était dans ces moments suspendus, pensait-il, qu’il devenait un écrivain ».
Frédéric Bécourt est un boxeur romanesque, un poids léger de l’esquive, et de l’uppercut, mais il frappe toujours avec finesse et justesse, ses personnages ont de l’audace, ils dévoilent les déroutes sociales, les extravagances d’interprétation, la moraline qui petit à petit fait son nid. Frédéric Bécourt nous livre un roman superbement construit, à la belle architecture classique, aux dialogues brillants et pétillants, ce qui rend son histoire encore plus terrifiante. Le père de son roman est un héros du refus, mais qui n’en tire aucune gloire, un saint du silence qui reste debout dans la tourmente, et s’il cède, quand l’histoire s’emballe, c’est simplement pour sauver sa fille. L’auteur a dédié ce roman d’aujourd’hui à sa fille, celle du roman, volette et se glisse dans l’histoire avec la légèreté amusée des enfants à la langue bien pendue.
Philippe Chauché
On doit à Frédéric Bécourt un premier roman, Attrition, éd. Aethalides. Il vit et travaille à Bordeaux.
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