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Un tramway long comme la vie, Vladimir Maramzine (par Fanny Guyomard)

Ecrit par Fanny Guyomard 12.02.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions Noir sur Blanc

Un tramway long comme la vie, janvier 2019, trad. russe Anne-Marie Tatsis-Botton, 168 pages, 18 €

Ecrivain(s): Vladimir Maramzine Edition: Editions Noir sur Blanc

Un tramway long comme la vie,  Vladimir Maramzine (par Fanny Guyomard)

 

« Il y a beaucoup de choses qu’il ne comprend pas à cause de son âge respectable, et beaucoup, au contraire, parce qu’il n’est pas adulte. Les vieux, on le sait, sont plus intelligents que les jeunes, c’est pourquoi ils sont si peu adultes. (…) Le fait de ne pas être adultes leur permet de comprendre de simples sentiments humains. Mais cela les empêche de comprendre d’autres événements qui adviennent dans le monde, parce que beaucoup de choses inhumaines se passent dans le monde des adultes » (p.37).

C’est un auteur assagi qui parle, un écrivain et éditeur russe qui a quitté, dans les années 70, l’Union soviétique et son régime liberticide. Durant treize nouvelles, Vladimir Maramzine nous entraîne dans les différentes phases de la vie de son double, partant de son enfance heureuse dans la campagne soviétique, puis racontant les errances d’une communauté russe en exil dans la capitale parisienne. L’Union soviétique et son visage sombre ne transparaissent nettement que petit à petit, par des citations, des jeux hypertextuels, comme un refoulé sur lequel l’auteur, blessé et irrémédiablement rebelle, ne peut se taire.

Et pour parler de ces mondes qui lui sont étrangers – Paris et l’Union soviétique, cette patrie qu’il n’a pas quittée, mais qui l’a quitté –, l’auteur adopte un ton faussement naïf, celui de l’enfant qui vit innocemment le monde. Ou bien celui du vieil homme, grand gosse mal élevé et rusé, le regard distant et assez affuté pour capter le grotesque de nos vies ou les choses les plus simples.

Ainsi peut-on lire une nouvelle burlesque sur la mort d’un bébé éprouvette, quand une autre explore la solitude et la jalousie, ou encore les relations tumultueuses entre des écrivains russes et le KGB, la police secrète soviétique. Le ton est tour à tour drôle ou sarcastique, désespéré ou révolté. Le lyrique, aussi, côtoie l’absurde et l’étrange – « Il serra d’un coup tant de mains froides que son bras – d’abord jusqu’au coude, puis plus haut – se fit plus frais, une fraîcheur se propagea à l’intérieur le long des veines. Dans sa main apparut une bonne activité, indépendante de lui-même » (p.34).

La dernière nouvelle, la plus longue et qui donne le titre au recueil, est sans doute la plus belle. Cette histoire d’amour inné pour un être qui vous quitte, un être qui vous est en fin de compte toujours resté inconnu, prend pour fil rouge le tramway, symbole non de la vie sous l’union soviétique, mais d’autre chose – une représentation de la vie, une littérature de la vie. Lieu social par excellence, le tramway offre de fugitifs portraits de personnages romanesques, à même d’exprimer toute l’étendue des passions humaines, tandis que derrière défile le paysage politique de l’URSS en délitement. Le tramway, c’est aussi le lieu où l’on ment et l’on se dévoile, mécanisme même du jeu social.

Le narrateur s’y construit et aiguise son regard, tout en s’entraînant avec délectation à ce jeu de dupe qui affirme ou prend distance avec la figure de l’auteur. Ainsi entend-on penser, dans une des nouvelles, un « vieux lecteur » : « “Je vous aime beaucoup si vous voulez être tels que je me représente” » voilà ce que pense le lecteur des gens, mais eux ne veulent pas » (p.37).

A travers cette œuvre, l’auteur, ce peintre de la foule et représentant de la Russie exilée, nous propose les multiples visages de l’Union soviétique d’après-guerre. Sa palette ? Vive et étendue, une écriture allant du simple au sophistiqué, des couleurs textuelles mêlant le drôle, le fantaisiste, l’émouvant et le tragique… Avec une bonne dose d’autodérision, d’impertinence et de satire. « Ça grenouillait ferme dans la Sainte Russie. La moitié de la population des deux capitales se promenait en haussant le col, avec l’air de vouloir péter plus haut que son cul ».

 

Fanny Guyomard

 


  • Vu : 1974

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A propos de l'écrivain

Vladimir Maramzine

 

Vladimir Maramzine, éditeur, né en 1934 à Leningrad, quitte l’URSS et rejoint Paris après son arrestation en 1974, pour avoir publié des œuvres clandestines.

 

A propos du rédacteur

Fanny Guyomard

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Fanny Guyomard, journaliste et ex-khâgneuse, elle s’intéresse plus particulièrement à la question de soft power passant par les arts et le numérique. @FannyGuyomard