Un temps pour mourir, André Masson (par Yann Suty)
Un temps pour mourir, André Masson, réédition janvier 2021, 350 pages, 18,90 €
Edition: Editions du Typhon
Le genre post-apocalyptique ne se déroule pas forcément dans le futur. Il convient parfaitement au monde contemporain, voire, dans le cas du livre d’André Masson, Un temps pour mourir, il y a quelques années.
Faut-il croire aux prédictions ? On pourrait y être tenté de répondre par l’affirmative quand elles se réalisent. Depuis des années, une légende prétend que le petit village montagneux de Verfeuille, situé sur l’île Maurice, sera détruit par les forces de la nature. Et cela pourrait bien se concrétiser très prochainement puisqu’un cyclone est annoncé.
Pour le père Hildefonce, cela a tout d’un châtiment divin. Les gens ne croient plus assez, ne croient plus, ne font pas assez miséricorde. Le dernier sermon qu’il professe dans son église n’a que deux spectateurs. Il rappelle les paroles du Christ, « Vous verrez les signes dans le ciel. Relevez la tête et regardez » (p.28).
Chacun à leur manière, les habitants se préparent à l’événement. Pensalon-les-morts, le fossoyeur (de père en fils), est ravi à l’idée des morts à venir et du travail qui l’attend. Il n’y a pas eu assez d’enterrements les derniers temps et il en est malheureux. Le garçon a des tendances de psychopathe. Foncine veut, elle, faire l’amour pour la première fois avant la destruction du monde. N’importe qui ou presque pourrait lui convenir. Faucin pense à tuer ses enfants. « Que la nuit les emporte et les cache à ses yeux ». Certains se confessent, révèlent des secrets. La femme du boulanger n’est-elle donc pas enceinte de son mari ? Il y en a qui décident de rester chez eux, d’autres qui fuient la montagne.
André Masson met en scène une galerie de personnages qui sont tout de suite plongés dans le drame. Les présentations sont sommaires et voilà que le ciel se déverse sur leur tête. Tout va vite, si vite qu’il y a un peu de confusion. Il n’est pas toujours facile de repérer qui est qui, mais on se laisse emporter par le mouvement.
La tempête est là. Cette partie est réjouissante, avec une luxuriance de détails. André Masson prend beaucoup de plaisir à représenter ce mal. Le cyclone est d’abord « un vent anormal » (p.55). Puis, il se transforme en animal, relevant aussi bien du reptile (« Un nuage enflé – une tortue renversée, les pattes au plafond du ciel, le dos gris-vert, la queue tirant sur le cuivre – rampait lentement vers le pic. La montagne laissait venir la bête, poussait droit sa lance noire dans le soleil », p.57) que du cheval (« Il avait vu passer le vent et s’était figuré un grand cheval blanc foulant de ses sabots la terre du pays », p.63).
Cette tempête a aussi quelque chose d’humain (« La rafale essayait, comme une personne, d’arracher un contrevent », « Le cyclone est un être humain doué d’imagination et de volonté », p.134), qui « défonce », « avale », « déchiquette », « piétine », « déchire », « drosse ». Elle veut faire mal, comme si elle voulait faire payer quelque chose aux habitants de Verfeuille. Les dégâts sont considérables. Tout un village a été détruit. Et pourtant, ce n’est que le début.
Un temps pour mourir est un roman post-apocalyptique. Il s’intéresse donc à l’après-catastrophe, à la vie une fois que le drame est passé. La tempête a ravagé les habitations. Elle a fait des morts, des déracinés, des sans-abri. Il y a même des phénomènes quasiment surnaturels qui se manifestent et permettent de voir ce nouveau monde d’un œil neuf. Mais le pire est à venir. Le père Hildefonce l’a bien pressenti. Il redoute « ce cyclone dans les âmes qui allait succéder au cyclone dans la nature ».
Avec cette deuxième partie, c’est presque un deuxième roman qui commence. Certains personnages, qui étaient secondaires au début du roman passent au premier plan, et inversement. Les habitants se retrouvent presque dans un état de nature et, dans l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme. André Masson montre bien comment l’identité collective se perd et que chacun va jouer pour lui, comme si la tempête avait cassé l’idée de civilisation. Il est de plus en plus difficile de vivre ensemble. Ce que chacun fait à l’autre a trop de conséquences pour pouvoir coexister en paix.
Cette deuxième partie un western où tous les coups ou presque sont permis. Vengeance, contre-vengeance, coups bas, coups en douce.
Pour le père Hildefonce, ce n’est que l’illustration de la nature mauvaise de l’homme. « Après le désordre des éléments, le désordre des cœurs ; les hommes émergeaient vivant des cataclysmes naturels pour se faire la guerre, tout comme la Terre, Verfeuille, courait à sa fin. La fornication prenait le pas sur l’innocence. Le péché devenait officiel. La violence poussait comme un tamarinier géant » (p.233).
« Le péché est immense et tout puissant, comme le cyclone, cyclone lui-même. Personne n’y résiste ! » (p.167).
Un temps pour mourir est à l’image d’un cyclone. Des moments de calme, de répit, et puis des fulgurances, des éclats de violence. Un style lyrique et tout à coup des déflagrations sèches.
On peut être aussi tenté de lire ce livre, publié en 1962, à l’aune d’une actualité plus récente, en particulier celle du réchauffement climatique et du coronavirus, et d’y voir une fable sur un possible futur. Parce que l’homme la maltraite, la nature peut se déchaîner et en quelques heures à peine détruire ce que l’homme a mis des années à construire. L’homme n’est rien face aux puissances naturelles, ou face à un virus. Mais ce qui est plus intéressant avec ce roman, ce sont les conséquences. L’homme s’avère encore pire que la tempête. La tempête n’est que puissance brute alors que l’homme est vicieux, sournois, patient. La tempête ou la maladie fait des ravages, mais l’homme fait pire, aussi bien pour tenter de faire face au mal, que pour faire face aux conséquences.
Yann Suty
L’œuvre d’André Masson (1921-1988), frère de Loys Masson, est une merveille de la littérature mauricienne. Moraliste inquiet comparé à Georges Bernanos, à Joseph Conrad pour ses ambiances et à Georges Simenon pour l’efficacité du trait, André Masson compte parmi les plus grands stylistes de la seconde moitié du XXe siècle.
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