Un Secret et autres récits, Severino Pallaruelo
Un Secret et autres récits, éditions de la Ramonda, trad. espagnol Monique et Charles Mérigot, 170 pages, 17 €
Ecrivain(s): Severino Pallaruelo
Les seize nouvelles de ce recueil se déroulent en Aragon, région natale de Severino Pallaruelo, rude pays montagnard de pauvreté, d’isolement, d’exode vers la ville, d’émigration vers la France, et plus récemment de canyoning et de randonnée pédestre. Mais plus que le décor d’un écrivain régionaliste, l’Aragon de Pallaruelo est un paysage comme l’entendrait Jean-Pierre Richard : l’ensemble des éléments sensibles qui forment le sol rugueux de son expérience créatrice. Ses personnages ressemblent à la nature qui les contient, « tenaces et durs comme les rochers de ces montagnes et comme les ajoncs qui poussent sur ces versants arides ».
Pallaruelo est un conteur comme on en trouve peu de notre côté des Pyrénées : entrant dans ses récits avec la vivacité d’une rivière de montagne, il sait par des sauts temporels en accélérer le rythme, pour le ralentir ailleurs en déployant des nappes de sensations : dans le premier récit, la perspective pour une petite fille de découvrir un secret est « un chatouillement dans la poitrine, comme si un mille-pattes minuscule avait dansé dans ce recoin de l’âme tellement sensible aux caresses délicieuses du doute, des secrets partagés et des révélations intimes ».
Mais ce qui touche le plus dans les récits de Pallaruelo, c’est qu’ils sont souvent centrés sur un être considéré comme inférieur, incomplet, dont les autres se moquent, car « il y a toujours un plus malheureux parmi les malheureux et un plus pauvre parmi les pauvres ». C’est le cas du villageois Toné dans Un conte de Noël, qui aurait voulu faire partie des Innocents massacrés par le roi Hérode tant il est méprisé. Quand il parvient à conduire une camionnette et à se faire embaucher à Saragosse comme livreur de yaourts aux supermarchés : « Au village l’emploi de Toné eut pour conséquence que l’on perdit tout respect envers le yaourt, la circulation à Saragosse et les supermarchés ». Pallaruelo excelle à mettre en relief les petites différences et la gamme infinie des sentiments de supériorité. La nouvelle Les Ornements commence ainsi : « C’étaient des villageois mais eux ne le croyaient pas. Je parle des employés des centrales électriques, ceux qui vivaient dans les villages construits par les entreprises ». Avec cette manière incisive et sensible de pénétrer dans la chair des choses, Pallaruelo considère d’un œil ironique les photos de paysans à béret qui sont exposées aujourd’hui dans les salles des fêtes ou dans les musées ethnographiques : « Ces choses-là sont depuis peu très à la mode : les gens, après avoir abandonné leur village, lutté pour s’en éloigner et oublier tout ce qui a trait à la campagne, se sont mis à se le remémorer ».
L’auteur a néanmoins à cœur de raviver la mémoire d’un monde qui disparaît. L’épilogue du livre nous le montre en train de recueillir les souvenirs divergents de trois frères et sœurs, sachant bien que chacun a sa vérité, et que « les souvenirs ont une vie propre et différente selon qui les possède ». La tâche du conteur est alors d’en restituer la multiplicité pour les couler dans des phrases qui s’avancent, avec leurs rapides et leurs eaux dormantes, vers le lecteur.
« Les paysages, dit le narrateur du récit Le petit appartement, ne vivent que dans l’âme ».
Nathalie de Courson
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