Un renoncement, René de Ceccatty
Un renoncement, mars 2013, 422 pages, 21 €
Ecrivain(s): René de Ceccatty Edition: Flammarion
Habitué des biographies, dont il dit qu’il ne fait que celles qui croisent, ou sont en écho avec lui-même, René de Ceccatty – un écrivain, un vrai – attend les dernières pages de cet étonnant récit pour nous dire pourquoi Garbo ? « Quand un écrivain prend pour sujets de tels monuments, il s’expose à la banalité et même à une certaine vulgarité. L’unique paravent, c’est la précision ». Ce chapitre à lui seul, vaut l’arrêt ; c’est si rare chez les biographes, et cela va pourtant tellement de soi ! pourquoi « j’ai » parlé d’elle, comment (en cercles concentriques, au risque d’une certaine redondance, et non pas de façon banalement linéaire – elle est née, elle a fait…).
Cercle réduit, que ce long récit étonnamment précis et renseigné de la vie de cette unique « divine » (entendons par là, « d’ailleurs ») puisque son épicentre est – en 1949 – la décision de son retrait, du cinéma, d’une sorte de vie publique, d’une visibilité qu’on dirait de nos jours médiatique ; à résonances multiples, au point que le terme utilisé par Ceccatty, « le renoncement », s’éclaire de quelque chose de solennel, de religieux.
Le récit est illustré de photos rares, judicieusement commentées – on y voit la beauté absolue et comme venue d’ailleurs –, croisant le réel de l’âge, du quotidien, le « fantôme » des rues de Manhattan de la fin… ces photos sont plus qu’illustratives, elles « sont » le propos du livre.
Que Garbo ait été – soit probablement encore – l’archétype d’un certain canon féminin, capable de concentrer dans l’architecture du visage, le regard, l’allure, tout ce qui, pour les hommes et les femmes réunis, rime avec beauté, tout le monde le sait, et ce récit en fait une équation de départ qui n’est plus à débattre. Par contre, des éléments de sa trajectoire – sa sexualité, par exemple, son caractère, ses élans affectifs, et surtout ses manques, ses comportements pathologiques ; voilà qui se retrouve examiné sous le microscope de l’expert-biographe. Garbo, l’éternelle et sombre voyageuse, la dépressive profonde : « je suis une personne triste, une déséquilibrée dans la vie, une misfit in life »…
Le parti-pris, semble-t-il, de Ceccatty, c’est d’éclairer des carrefours, plus que des routes, des moments-phares de mutations plus que cette très longue vie (Garbo meurt en 1990), des facettes de médailles, ombre, lumière, plutôt qu’une œuvre d’art de musée… c’est ce qui rend captivante la lecture de ce récit approfondi. On en apprend sur l’époque, le monde – terrible – du cinéma surtout Hollywoodien, les grands (elle en a tant connus) acteurs ; un univers, un bestiaire.
De très petite origine, de culture fruste, repérée par sa plastique, devenue vedette très en vue du Muet, côtoyant les plus grands, Garbo y a « appris » le métier – gestuelle, expressions, montage ; un monde à part, avec un premier carrefour à négocier, le passage à l’autre cinéma, le nôtre, le parlant. Ce fut difficile, pas toujours réussi – elle continue de jouer « muet » dans ses premiers films…
Carrefour, aussi, son « appartenance », américaine ? suédoise ? Et ses relations amoureuses ? Autre chose que Marlène, à l’opposé d’une Marilyn, unique, là encore, cette « divine ». Hétérosexuelle ? Homosexuelle (que d’articles, mais au bout, pas grand-chose pour étayer la thèse). Bi ? Femme en recherche de sa vraie nature sexuelle, gibier de psy, qu’elle ne consulta pas, contrairement à l’abus qu’en fît Marilyn. Et, pourquoi pas A-Sexuelle, froide et nordique ? Sa vie s’est déroulée, masquée, passant de femme à l’ombre de compagnons gays, à celle d’hommes mariés, entretenant des relations particulières avec cette « compagne » envahissante. Elle n’avoua pas grand-chose, se complaisant dans l’univers des « peut-être ». Mystère…
Le moment du renoncement, mijoté de longue date, s’articule autour d’un projet de film qui ne se fera pas, La Duchesse de Langeais d’Ophuls, d’après Balzac. Ceccatty mène ici un parallèle brillant entre l’histoire et la personnalité de l’héroïne balzacienne et Garbo elle-même. Celle-ci, du reste, privilégiait les personnages qui « lui ressemblaient » ; La Reine Christine, évidemment, et sa masculinité (n’avait-elle pas pour maxime ce formidable : « libre, je suis née, et j’ai vécu, et je mourrai sans lien », qui a été le rêve de Greta, sans jamais pouvoir l’atteindre), l’envie d’incarner Georges Sand, ou même Dorian Gray.
Nœud – et, pas le moindre – de ces scénarii, insuffisants, bâclés, des gens d’Hollywood, proposés à Garbo (trop belle, pour que reste autre chose dans ces films), ces navets qui n’empêcheront aucunement la construction du mythe, mais alimenteront la dépression de l’actrice. Comparaison est faite avec une Marlène plus forte (plus construite ?), une Marilyn définitivement plus atteinte, et Bardot, et Romy… fragilités… « elle répétait sa consternation de devoir jouer des rôles ineptes dans des films idiots ; elle avait l’impression de se prostituer ».
Vint un moment où « plus rien n’était possible à l’écran ; ne demeurait qu’un autre rôle dans la vie, celui d’une icône inaccessible », « don’t ask questions » devint son mot d’ordre. Mais, Ceccaty le démontre remarquablement, il y a là encore tromperie, masques, mystère. Garbo est rentrée dans l’ombre, en veillant à rester dans la lumière, a quitté, certes, les écrans, en se montrant partout, a donné – allure, vêtements, lunettes noires – d’elle une image d’austérité en accumulant une immense et rapace fortune… Garbo, la femme aux deux visages, pourrait-on dire en reprenant le titre d’un de ses plus mauvais films…
Au bout du livre qui se lit comme un excellent roman, on sait plein de choses et on ne sait toujours rien ! C’est sans doute ce qu’elle aurait voulu ! « et elle s’éloigna avec sa légendaire foulée… ».
Martine L Petauton
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