Un poète qui édite des poètes : à propos des éditions Le Phare du Cousseix
A la porte, Jean-Claude Leroy, 2014
Llanover-Blaenavon, Ludovic Degroote, 2014
Le Récit est une voix timide, Marie-Paule Blein, 2015
L’Art d’être tigre, Ana Luisa Amaral, 2015
Connaître personnellement l’éditeur qui se cache derrière la maison d’éditions Le Phare du Cousseix, installé en Creuse, facilite et en même temps rend difficile la relation à moitié exhaustive que je me propose de faire lire ici. Car même si Julien Bosc connaît depuis plusieurs décennies ce pays limousin, et que son travail de poète le précède, je n’ai pu le rencontrer qu’au détour de la lecture de son travail d’éditeur, et je lui en suis reconnaissant pour la vraie confiance qu’il a su installer entre nous au sujet de ses livres. D’où cette difficulté de ne pas trahir mon sentiment objectif.
D’ailleurs ma visite à Cousseix où J. Bosc possède une petite maison en forme de phare, permet de comprendre le goût pour la nature, que j’ai vu aussi dans les livres de ses auteurs, et de l’absence de bavardage inutile. Et cela sans se défaire de l’excès de civilisation que requiert la poésie, forme haute et distinguée.
En effet, on trouve dès le premier livre de sa collection, et même aux premiers vers du premier poème de la plaquette, ce qui pourrait faire une profession de foi. Je cite J.-C. Leroy : toi bonhomme/toi timide/perdu dans ce maelström bavard/tu entends l’antienne/des prescripteurs et les ultimatums. On voit donc que le poète cherche une parole, une expression non usée, des formes neuves, cherchant le mystère pour inscrire le monde qui, lui, cherche une image dans ce mystère, et de cet échange étrange, naît la parole poétique. Pour exemple, je cite encore cette première page de l’opuscule A la porte : mais tu es mis au secret/un secret qui te va bien/que tu n’oses pas divulguer/que tu aimes entretenir/un secret de personne/de ta personne/que personne n’entend ni ne voit. Le poète est susceptible de dévoiler le mystère, par exemple de la nature, pour écrire son propre mystère dans le miroir profond de cette activité narcissique qu’est la production artistique.
Puis, plus loin dans la production de l’éditeur, on trouve un opuscule d’à peine seize pages – car Le Phare publie des plaquettes très soignées, utilisant la typographie et les beaux papiers, pour tirer une vingtaine de poèmes, tout au plus, par livre, pour un tirage de 200 exemplaires, ce qui laisse entendre le besoin très pointu qui anime Julien Bosc – de Ludovic Degroote qui, là, ouvre un autre possible au poème. Car Llanover-Blaenavon est sans doute bel et bien un toponyme, qui ouvre la voie aux voyages dans la musique des noms de lieux-dits. Car, tout le monde je crois, a lu les noms des hameaux qui font florès dans la campagne – française, et sans doute, anglaise ici – qui permettent de déambuler dans le secret des espaces géographiques, tout autant que Proust dans sa géographie mi-inventée, mi-argumentée de recherches toponymiques. Donc, au mystère de tout à l’heure s’ajoutent celui de maintenant, l’incertitude du pays et des lieux dont seul le nom fait preuve d’existence. La poésie permet cela. D’ailleurs, ce n’est pas un pays par hasard, mais la voie tracée de fermes en fermes, d’un hameau vers un autre hameau, peut-être d’un ruisseau vers un autre ruisseau. Mais le monde est là, capté, enclos, retenu pour véridique énigme.
Je cite :
A gauche, on pouvait voir, avant que ne recommence la haie, au-dessous de Craig yr Allt, Dan-y-graig, Glandwr, Ty Parson ; en face de Hill Farm, sur la droite, il y avait une maison de pierre, ou une bergerie, en ruines : les pierres rendues à la lande en tas ici géométrique […]
Il y a donc de la terre, la présence de la glèbe, des villages qui sont autant d’énigmes sculpturales, de la beauté tout simplement.
Puis, je voudrais évoquer le livre qui m’a fait connaître la maison Le Phare du Cousseix, en l’occurrence, Le Récit est une voix timide, de Marie-Paule Blein, et qui là déjà me portait vers quelque chose qui est très important pour moi, la présence, et ici la présence de la nature.
Des ronces indéchiffrables
Nouent les liens
Invisibles de ceux qui plongent
En d’autres corps
J’habite depuis si longtemps dans des pays ruraux, que je sais que la campagne offre à la fois une évidence, des lieux communs, mais inscrit au profond de l’identité humaine sa valeur la plus fondamentale et la plus archaïque, donc, ce que cherche la poésie, en un sens. Donc, le plus raffiné de l’églogue vient se traduire dans cette simple ferme imaginaire peut-être, et concourt à enrichir le moi de l’homme.
Pour fermer la marche, et peut-être faire juste un pas de côté, regardons le livre bilingue L’art d’être tigre de Ana Luisa Amaral, traduit du portugais par Catherine Dumas. Car s’agit-il vraiment d’être tigre, ou bien de regarder un tigre, et de « plonger » dans un tigre ? Je ne sais pas. Nous sommes ici au climax de l’énigme civilisationnelle, avec toute sa beauté et son étrangeté. Et aussi nous questionnant sur ce qu’est la poésie.
Feindre la lumière :
pas même un art juste,
pas même le plus grand
art mineur
écrit A. L. Amaral.
Pour conclure, je dirai donc que depuis ce coin de campagne isolé sur le plateau de Millevaches, que chérissait d’ailleurs Gilles Deleuze, se cache une vraie tentative pour un poète d’éditer des poètes, et depuis ce « phare », guider un peu les âmes vers leur élévation et leur mystère.
Didier Ayres
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