Un parfum d’herbe coupée, Nicolas Delesalle
Un parfum d’herbe coupée, StoryLab, avril 2013, 3,99 €
Ecrivain(s): Nicolas Delesalle
À travers huit moments précis de son existence a priori anodins qui rythment le récit en autant de chapitres, Kolia, un homme presque quarantenaire, dresse un premier bilan de sa vie et saisit l’alchimie du bonheur. En réalité, ces petits riens, ces petits souvenirs de jeunesse constituent les étapes qui marquent le passage de l’enfance à l’âge adulte. Nicolas Delesalle nous montre là des instantanés empreints de nostalgie, de tendresse, d’humour, bref de tout ce qui fait le sel d’une vie.
« Le jour où mon père a débarqué avec son sourire conquérant et la Renault GTS, j’ai fait la gueule. Mais j’ai ravalé ma grimace comme on cache à ses parents l’odeur de sa première clope. J’ai dit “ouais”, j’ai dit “super”, la mort dans l’âme, même si j’avais compris que la GTS pour la GTX, c’était déjà le cinquième grand renoncement, après la petite souris, les cloches de Pâques, le Père Noël, Mathilde, la plus jolie fille de la maternelle, et ma carrière de footballeur professionnel ».
Faisant preuve d’une extrême sensibilité sans jamais verser dans la sensiblerie, l’auteur, grâce à son écriture impeccablement épurée et à son style limpide, trouve toujours le ton juste, le mot juste, la situation juste pour que chacun se reconnaisse sur la photo. Il n’y a pas d’amertume dans son constat du temps qui passe, de l’innocence qui se perd et de l’enfance qui s’envole, car par un bel après-midi de juin, alors qu’il flemmardait dans le canapé du salon, que son père tondait la pelouse, que sa mère parlait au téléphone avec la grand-mère Babouchka, que ses deux sœurs s’occupaient à des trucs de fille, à l’étage, et que le chien Raspoutine somnolait à ses pieds, Kolia, pour la première fois, a pris conscience de nager dans le bonheur, l’a touché du doigt, comme ça, sans savoir d’où lui venait cette certitude, simplement en respirant le parfum d’herbe coupée qui entrait par la fenêtre. Il a aussitôt saisi la fragilité de cet équilibre, la volatilité de cet état de grâce. Il a compris que s’il revivait de tels instants, celui-ci se dissipait déjà, telle une fragrance.
Quelques années plus tard, en effet, parce que la vie est ce qu’elle est, un nouveau petit rien viendra perturber l’harmonie de cet après-midi de printemps. Et que celui qui ne sent pas une larme poindre sous ses paupières en lisant le dernier chapitre me jette la première pierre qu’il a en guise de cœur. À lire en écoutant Mistral gagnant.
Laurent Bettoni
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