Un paquebot dans les arbres, Valentine Goby
Un paquebot dans les arbres, août 2016, 271 pages, 19,80 €
Ecrivain(s): Valentine Goby Edition: Actes Sud
Le titre du roman peut prêter à confusion, ce n’est pourtant pas d’une allusion à un tableau de Magritte dont il est question dans le récit. Le mot « paquebot », Valentine Goby nous l’apprend, a désigné dans les années cinquante les sanatoriums, en raison de la similitude de leur architecture d’avec celle des paquebots.
Nous sommes dans les années cinquante, au cœur de ces Trente Glorieuses, perçues par beaucoup de nos contemporains comme l’âge d’or de l’après-guerre. Paul Blanc et son épouse Odile tiennent un café dans une localité de la région parisienne, La Roche-Guyon, Le Balto. Il y fait bon vivre, on y organise des réunions, des repas arrosés, des concerts d’harmonica assurés par Paul, dit Paulot, qui apporte à son auditoire captif un peu de bonheur, de joie de vivre, de chaleur humaine. Ils ont trois enfants, Jacques, Annie, Mathilde. Elle est la dernière, se sent un peu illégitime car elle a su que sa venue n’était pas autant désirée que celle de ses frère et sœur.
Les ennuis s’enchaînent, très vite, pour cette famille de commerçants, dont le père Paulot est bientôt atteint d’une maladie qui sera diagnostiquée comme la tuberculose. Paulot n’a pas droit à la Sécurité Sociale comme commerçant, ce qui va constituer pour la famille un premier obstacle de taille pour lui dispenser des soins à la hauteur. Du point de vue de l’image donnée par les « tubards », Valentine Goby rappelle très opportunément que la tuberculose terrifie à cette époque, que ce halo maléfique dont on l’entoure alors s’inscrit dans la ligne des grandes peurs du Moyen Âge :
« Devant le tubard on change de trottoir, sa solitude extrême Thomas Bernhard l’appelle le froid. Par pitié pour ces exclus et contre toute logique médicale, on renonce à imposer la déclaration obligatoire de la maladie : le tubard est caché ».
La famille Blanc traverse toute une série d’épreuves : les dettes s’accumulent, l’état de santé de Paulot connaît des hauts et des bas, ces derniers l’emportant bientôt sur les premiers. Mathilde, au bord du gouffre tant matériel qu’affectif, tente de se suicider.
Dès son réveil, à l’hôpital, elle décide de faire face à la vie, à la cruauté de l’existence, car beaucoup d’injustices subsistent dans la France de l’après-guerre : la maladie y reste une « exagération des rapports de classe », selon le mot de Sartre, qui n’est pas qu’une boutade mais aussi une réalité car le roman rappelle qu’alors, on ne soigne pas la tuberculose quand on est trop pauvre.
Mathilde décide de faire front à rôle inversé : elle sera la Mère Courage de la famille Blanc : « en vérité elle raisonne comme une mère, la petite Mathilde (…) Rien n’aurait pu persuader Mathilde de renoncer à sauver les siens pour se sauver elle-même ».
Valentine Goby nous décrit, à travers le personnage exceptionnel de Mathilde, une tentative réussie de sauvegarde de la dignité, une illustration de la possibilité toujours existante de l’émancipation de la femme et des corps, thème cher à l’auteur. Le style du récit est à hauteur des personnages : simple, dépouillé, écrit à la troisième personne, souvent, populaire, à la manière des dialogues d’Audiard au cinéma. Il restitue l’atmosphère de ces milieux, marqués par la gouaille, le franc-parler coloré. L’emploi de ce mode de description accentue l’épaisseur humaine des personnages ; il les fait vivre, met à notre portée leur humanité sans tomber dans le piège du misérabilisme ou du naturalisme.
Roman social, populaire ? Un rappel fort utile à propos de la perception des réprouvés.
Stéphane Bret
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