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Un mort est la somme de ses vivants, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud le 21.05.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Un mort est la somme de ses vivants, par Kamel Daoud

 

Le vrac contre l’humain. Un des arguments faciles de ceux qui contestent le droit de s’émouvoir des victimes dans le monde, dessinateurs tués, ou femmes enlevées, et celui du poids : pourquoi on s’émeut de 17 morts, à Paris, et pas de 2000 au Nigéria, de 30 à Gaza, de 45 en Syrie etc. ? L’argument sert à meubler les visions de rejets : l’Occident est traître et immoral, le monde est hypocrite, les solidarités sont sélectives et ainsi de suite, jusqu’à la dernière goutte de café ou de salive. Vrai ? Non, ou autrement, explique un ami.

Le fond du problème est simple : une vie n’est pas seulement une vie, c’est aussi une civilisation, un pays, un respect, une démocratie. Si les morts dans certains pays sont vus comme peu de choses et ne sont pas traités comme des victimes du 11 septembre 2001, ce n’est pas la faute à l’Occident. Un mort vaut ce que vaut le vivant. Si vous, vous ne respectez pas vos vivants, comment voulez-vous que les autres respectent vos morts ? Si le vivant est traité comme mort, comme ennemi, comme poids mort ou avec l’irrespect de nos nations envers les siens, comment s’étonner que les médias ne le traitent pas au détail mais au vrac ? Un mort est aussi son propre pays, sa nation, la civilisation laissée aux siens, la somme des vivants qu’il a côtoyés.

Cette cotation du cadavre est visible à l’ONU comme au village de naissance : un mort est aussi son argent, son prestige, ses œuvres, ses actes et sa souveraineté. Un peuple qui exporte des harraga n’a pas d’Etat, n’a pas de terre ou n’a pas une armée forte, n’a pas une économie concurrente, ne peut pas prétendre avoir des morts prestigieux, photogéniques. Depuis la nuit des temps, la mort est unique et les sépultures différentes, selon les cultures et les civilisations.

Le pire est que les amateurs de la théorie de « l’hypocrisie de l’Occident » sont les premiers à mépriser le vivant chez eux et à réclamer l’égalité pour les morts, après la mort. L’un est un assis éternel, l’autre fervent de la théorie du complot et le dernier est islamiste, auteur de la transformation de l’Islam en théorie sexuelle et en obsession gynécologique. Tous vous sortent l’argument du manque de démocratie chez les morts et ne s’en soucient pas chez les vivants.

Tous font semblant de s’indigner que l’on s’indigne des 17 morts de Paris et pas assez des 3456 morts dans la planète d’Allah, alors que eux-mêmes ne s’indignent pas de l’offense faite aux vivants, chez eux, par eux. Vous voulez que l’on salue vos morts ? Respectez vos vivants.

 

Kamel Daoud

 


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

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Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015