Un mort de trop, Alexandra Appers
Un mort de trop, avril 2014, 263 p. 19,95 €
Ecrivain(s): Alexandra Appers Edition: Ring Editions
Époustouflant. On en sort – à regrets – de ce roman-rock qui nous tue les oreilles avant que de nous subjuguer, nous happer.
La séduction s’installe, s’imprime plutôt, « à tout jamais sur nous » comme un tatouage – sujet absolu, et ô combien complexe de ce livre étrange, sur ce qui fait mal, marque à vie, et manie hautement l’imaginaire. Mais – ultime et remarquable tactique littéraire de ce premier roman – ça ne vient pas d’emblée. Progressif… un tatouage, vous dit-on !
Pendant quelques chapitres, on s’immerge – du bout de l’œil, dans un bled apparemment côté montagnes, où tout le monde croit connaître tout le monde. Un bar, pour routiers, et sa tenancière – la mère du héros, typée bien vulgaire ; pas de père en vue. Le jeune, paumé, mal dans sa peau, sous la coupe, en geignant. Copain : un malabar, un peu juste en équilibre ; une fille : Ella, apprentie coiffeuse peut-être, rêvant de gloriole à gagner sur le « Télé 7 jours » de la semaine ; évidemment, pas farouche.
Du rock, épais, sonorités mâles (la dentelle est ailleurs), comme bande son. Le héros (qu’on imaginerait mis en musique par un Bernard Lavilliers, dans sa période prolo inspirée) rêve d’être tatoueur. Bon. Pas que pour le commerce, pas que pour la technique ; autre chose : des effets, des sensations bizarres, comme diraient d’autres addicts dans un domaine différent. Jusque-là, c’est dépaysant, fort bien écrit, mais…
Alors – mais à quel moment ? au détour de quelle page ? – c’est avec un talent diabolique qu’Alexandra Appers fait basculer son lecteur, et celui-ci y gagne en nuits difficiles et en malaises durs à digérer. Dans les castagnes entre bières et plus fort, au coin d’un trottoir, Ella tombe – mal –, notre tatoueur amoureux l’a poussée… La mère prend les choses en main, au fond de la cave aux caisses de pinard bon marché et de bières pas chères.
« Elle est descendue à la cave pendant que je tenais la lampe torche en haut des escaliers. Un détail auquel on n’avait pas pensé… le portable d’Ella. Elle en avait forcément un… On pensait triangulation, repérages, satellites. J’ai entendu qu’on écrasait du plastique sur le sol. Ma mère est remontée. Elle avait tout défoncé. On ne craignait plus rien ».
Nœud parfaitement amarré à notre émotionnel, poisseux, effrayant, qu’on sent se resserrer de page en page : quid du « paquet Ella » ? comment vivre avec ça, empêcher les soupçons et s’en débarrasser. Ce « mort de trop », qu’on ne voit bizarrement pas, étrange (déjà lu ailleurs – mais tellement autrement) lien entre la mère dévoreuse et le fils attaché… Tragédie à l’antique à sa façon.
Elle nous fait souffrir et frissonner – Appers ! Elle nous maltraite ! quelque chose d’une délicieuse torture, face à ce bouquin – couverture noir et rouge – qui distille parfois les parfums hitchcockiens d’unPsychose. Car – excellent fond de sauce de ce grand auteur en devenir de thrillers définitivement interdits aux enfants – l’angoisse s’invite ailleurs que dans la cave ou la cantine en fer trimballée nuitamment aux fonds de bois noirs. Elle habite la caboche qui se déglingue à coups de machines à tatouer (on en ressort presque breveté) du meurtrier supposé, retenu par la main maternelle de plus en plus louche. Huit-clos pesant auquel s’agrègent des personnages secondaires pas moins fascinants : la grand-mère ! une réussite à elle seule, ou la sœurette en cloque. Qui, au bout, sera le « mort de trop » ? Salivation assurée tout au long des presque (hélas, pas plus !) 300 pages.
Mais, au fait, qui a dit qu’un thriller bien saignant ne saurait appartenir qu’à la littérature américaine ?
Martine L Petauton
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