Un léger déplacement, Marie Sizun
Un léger déplacement, février 2013, 335 pages, 10 €
Ecrivain(s): Marie Sizun Edition: Arléa
Un léger déplacement, un angle de vue différent, une autre perspective… comme les modifications, les versions différentes de son prénom – Hélène, Ellen, Léna, Nana – le laissent déjà entendre, toute la vie d’Hélène a été marquée, conduite, par ce « léger déplacement ».
Une femme, née Française, qui vit et travaille à New York depuis quelques trente ans où elle a fondé une famille, revient à Paris à la mort de la seconde femme de son père dont elle a hérité le vieil appartement de son enfance, rue du Cherche-Midi.
Dans l’avion, un léger malaise préfigure la suite des choses, dont le cours prend un sens inattendu. Le souvenir d’un violent et inabouti premier amour la fait basculer dans le passé.
De ce moment commence pour Hélène une quête qu’elle n’a ni voulue, ni souhaitée et qu’elle ressent d’abord comme une effraction : « Ici, tout est noir, enfoui dans le temps, pris sous la masse des années. Oppressant, funèbre » (p.32).
« Aujourd’hui, au contraire, ce qui l’oppresse, c’est, plus que l’obscur, le vide et le silence de ce même appartement » (p.59). Elle se sent tiraillée et malmenée par un passé qui resurgit par bribes, des images oubliées : sa chambre d’adolescente qu’elle voit dans un miroir, beaucoup plus belle qu’elle ne l’est en réalité, ce vieil appartement qui, comme dans un conte, renaît, revit par les ombres des personnes qui l’ont autrefois habité et dont la table s’éclaire d’une nappe pour un dîner avec Madame Berthon, seul témoin du passé dans cet immeuble où plus rien n’est connu, reconnaissable à Hélène : « Il est charmant, ce dîner surprise, ce dîner improvisé. Ellen s’étonne du plaisir qu’elle a à le préparer. Comme si elle vivait là pour de bon. Comme s’il n’y avait plus de temps passé ou présent. Pas de futur immédiat non plus. Juste une petite fête (…) L’appartement du Cherche-Midi a pris un air de gaieté, on ne sait comment. Ellen n’a pas fait de cuisine, mais tout acheté chez un traiteur. Ses plats sont là, prêts à être servis, et il y a dans la cuisine un vrai parfum de vie » (p.239).
Qui est-elle, cette Madame Berthon ? La gardienne du secret, qui sans en avoir l’air, fait retourner les pas d’Hélène dans ceux de la petite fille du passé ?
« On dirait, se dit Ellen, tandis que s’affaire la petite Madame Berthon, on dirait une très vieille fée. Une fée douce et maternelle, d’ailleurs n’a-t-elle pas été pour moi une manière de fée ? » (p.323).
La vieille femme fait le lien entre passé et présent, veut la retenir dans ce présent qu’Hélène n’habitera jamais, dans ce passé qu’elle n’habite plus et qui revit pour elle, ses proches prenant, sous un éclairage différent, des sentiments non sus d’elle à l’époque ou qu’elle n’avait pas pu – ou pas voulu – comprendre.
Enfermée dans cet appartement qui veut lui dire quelque chose, comme dans un kaléidoscope géant les fantômes du passé prennent une dimension autre : la haine ou l’indifférence se transforme en amour, l’espace et le temps se confondent, tour à tour s’éclairent et s’assombrissent.
A l’issue de cette petite semaine de tourisme, Hélène s’est retrouvée. Ayant franchi un pont, elle se sent désormais en accord avec les « fantômes » qui, désormais, peuvent « venir à sa rencontre ». Elle n’a plus rien à faire à Paris… mais a-t-elle encore affaire à New York ? Que et qui va-t-elle retrouverlà-bas ? Et si sa vie était ici ?
« Bizarre, tout à coup, le silence. Pas très réel. Comme si l’intrusion de Manhattan avait dérangé quelque chose. Comme si elle, Ellen, était tout à coup déplacée, ici ou là-bas.
Elle pense à la curieuse phrase entendue l’autre jour dans son rêve : “Il n’est plus besoin d’aller nulle part”, au plaisir qu’elle avait éprouvé à se la répéter » (p.321-322).
Etre la même, et une autre, concilier ce qui ne peut l’être, Hélène/Ellen le veut-elle vraiment ?
Un très beau livre sur le temps, ce qu’il tisse, défait et retisse, le destin donc, ce qu’il convoque, et comment y répondre ?
Anne Morin
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