Un homme debout - à propos de Ainsi parlait H. D. Thoreau, Henry David Thoreau, par Didier Ayres
Ainsi parlait H. D. Thoreau, Henry David Thoreau, Arfuyen, septembre 2017, trad. Thierry Gillybœuf, 184 pages, 14 €
Aborder la pensée de H. D. Thoreau grâce à ce livre des éditions Arfuyen, lequel brosse à grands traits l’œuvre du philosophe et écrivain américain, est une vraie source de ravissement intellectuel, surtout pour moi qui suis adepte de longues marches – en ville comme en forêt. On y trouve avec clarté une pensée orientée vers le bien, la vérité, la nature et le cœur de l’homme considéré dans sa plus noble valeur, la sagesse. Cet homme est celui des valeurs faibles, de celles qui échappent à la puissance des grandes institutions idéologiques, et commerciales de l’époque – mais qui aujourd’hui encore sont considérées comme des valeurs hautes bien que contraires d’évidence aux lois de la justice, à l’équilibre des fonctions de la nature ou astreintes au pouvoir des grands commerces.
Dans ce que j’appelle les valeurs faibles, se trouvent défendues les notions de simplicité, de silence, de lucidité, de courage, seuls biens non périssables qui sont générés par l’effort et donnent du relief à la vie mondaine de tout un chacun. Ce sont donc des valeurs universelles et accessibles à tous dans la simple mesure où il faut abandonner l’orgueil et l’égoïsme propres au caractère humain. On peut très aisément rapprocher cette lecture de l’Ecclésiaste, de Job ou des Proverbes par exemple. Car ce livre est une sorte de prière qui invite à se mettre en question, à espérer davantage de la tranquillité que de l’agitation, du silence que du vacarme, du repos que de l’acharnement spéculatif. J’ai d’ailleurs songé à cet adage de l’Ecclésiaste justement qui dit – je cite de mémoire – « un peu dans le creux de la main vaut mieux, avec du repos, que plein les deux mains, avec travail et affliction d’esprit ». Cette citation me revient souvent à l’esprit, et j’ai trouvé les mêmes accents ici ou là dans ces lignes qui par une grande simplicité d’expression nous donnent une vision homogène des qualités du vieil humanisme occidental.
N’embauchez pas un homme qui fait un travail pour de l’argent mais plutôt celui qui l’accomplit parce qu’il aime sa tâche.
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Vers l’intérieur, c’est une direction que nul voyageur n’a empruntée. Vers l’intérieur, c’est le terme que recherchent tous les voyageurs et dont aucun ne souhaite revenir.
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Laissons les hommes, fidèles à leur nature, cultiver les sentiments moraux, conduire leurs vies en toute humanité virile et toute indépendance ; laissons-les considérer les richesses comme un moyen et non une fin, et nous n’entendrons plus jamais parler de l’esprit commercial. La mer ne stagnera pas, la terre sera toujours aussi verte, et l’air aussi pur. Ce curieux monde que nous habitons est plus merveilleux qu’il n’est à notre disposition, plus magnifique qu’il n’est utile – il doit être admiré et apprécié plutôt qu’instrumentalisé.
Valeurs faibles de l’inaction (et je vois là une sorte de non-agir taoïste), de la nature (nous rapprochant de Rousseau), du présent, en tout cas de l’homme contre le nombre, de l’individualisme contre les formes autoritaires de gouvernement, du pouvoir de la pensée contre celui des forts et des matérialistes. On peut sans doute trouver le même état d’esprit chez Emerson, chantre du transcendantalisme, à qui Thoreau était attaché.
Il faut aussi écrire quelques mots sur la qualité stylistique de ces pages. Et pour cela, regardons dans le texte anglais, un peu au hasard et citons : So soon as we begin to count the cost the cost begins. Cette langue saute aux yeux par ses effets de transparence, par son glacis qui souligne les idées et les notions fortes de la philosophie de Thoreau. Car ce n’est pas à un système que nous invite l’auteur, mais à se réfléchir pour soi et en soi à la mesure des valeurs fondamentales de la spiritualité, anagogie accessible tout autant à l’écrivain qu’au marcheur, et qui pousse le lecteur à plus de nudité intérieure et plus de lucidité sur les buts qui le font agir comme être humain.
Pour conclure, et peut-être ouvrir vers le temps de notre modernité de maintenant, je pense qu’il est possible d’étendre cette pensée et de l’associer à celle de Guy Debord, surtout concernant les dérives psycho-géographiques, qui pour moi – comme je le disais dans mon introduction – qui suis un marcheur dans les bois comme dans les grandes villes, pour voir combien est révolutionnaire cette pensée qui nous vient du XIXème siècle, et qui reste un ferment actif pour quiconque suit d’autres chemins que les autoroutes de la vie des objets manufacturés, de la puissance commerciale et pour finir, de la vacuité spirituelle. En tout cas, telle a été ma lecture. Je remercie donc l’éditeur et le traducteur de nous permettre l’accès latéral à cette haute pensée (rendue nôtre par le principe de cette collection d’aphorismes et de citations qui est toujours d’un grand éclairage moral et esthétique).
Didier Ayres
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