Un coup de dés, Claude Minière (par Philippe Chauché)
Un coup de dés, novembre 2019, 51 pages, 11,50 €
Ecrivain(s): Claude Minière Edition: Tinbad
« Pourquoi écrit-il sous le manteau ? Parce qu’il craint que ses pensées lui échappent. Pensée échappée, je la voulais écrire : j’écris au lieu qu’elle m’est échappée. Quand il écrit, sa pensée ne lui échappe pas ».
« Quiconque n’ayant plus que huit jours à vivre ne jugerait pas que le parti de croire que tout cela n’est pas un coup de hasard, aurait entièrement perdu l’esprit. Or si les passions ne nous tenaient point, huit jours et cent ans sont une même chose », Pensées, Blaise Pascal (1).
Pour saisir la force qui se dégage d’un livre, son pouvoir de séduction, il convient parfois de reprendre à son compte ses premières phrases. « Celui qui écrit pose la main sur un grand son. Cette simple feuille de papier est déjà traversée de roulements sonores, de batailles passées et d’appels insoupçonnés », c’est ainsi qu’un Un coup de dès s’ouvre à nous. Comme pour un opéra, ou un standard de jazz, les premières mesures dévoilent les lignes et les couleurs qui vont ensuite se développer, s’épanouir.
Ces premières phrases ou ces premières notes augurent de ce qui s’avance, de ce qui s’annonce. Et ce qui s’annonce là est exceptionnel, la maigreur du livre, cinquante et une pages, en renforce la pertinence, la force et la grâce. Cinquante et une pages où chaque mot est compté et choisi comme s’il s’agissait d’une formule mathématique, dans l’ombre et la lumière de Blaise Pascal. D’un trait, il écrit, la ligne va droit à la pensée hantée par le hasard, un poète se pose de semblables questions plus de deux siècles plus tard. La réponse se trouve dans l’écriture, dans ces phrases que Blaise Pascal découpe, et classe, comme un poème qui s’étire sous nos yeux. Ecrire non pas sur un coup de tête, mais comme un coup de dés.
« L’écriture force la main ».
Claude Minière s’attache aux pas, aux mouvements, et donc à la pensée de Blaise Pascal, qui est ce coup de dé, et quand « il écrit sa pensée, il pense son écriture ». Pascal au travail, plume à la main, va d’un point à l’autre, « écrit sous le manteau », sa Bible ouverte, et il ne détourne pas son regard face au néant, il s’en saisit comme Mallarmé. Je l’imagine à Tournon, au numéro 2, allée du Château, face au Rhône (2), puis à Avignon, écrivant et se liant d’amitié avec les Félibres et Frédéric Mistral, qui recherchent eux aussi le point parfait de la langue nostre, ce coup de dès provençal. Un coup de dèsassocie à ce cher Pascal, un autre horloger de la langue, Lautréamont-Ducasse, adepte lui aussi des coups de dès métaphoriques, métaphysiques et mathématiques – Arithmétique ! algèbre ! géométrie ! trinité grandiose ! triangle lumineux ! Celui qui ne vous a pas connues est un insensé ! (3), du tournoiement des corps, de la pensée et du style. Ses Pensées, un temps baptisées Apologie, brillent de tous ces feux, pas une flamme qui ne se ressemble, et celle qu’il a allumée en 1670 lors de la première édition des Pensées, n’est pas prête de s’éteindre. L’aventure de la pensée brûle ainsi, et ne cesse d’être attisée de siècle en siècle.
« Le secret est indispensable au libre développement de l’aventure ».
Philippe Chauché
(1) http://kaempfer.free.fr/oeuvres/pdf/pascal-pensees.pdf
(2) « Jamais pensée ne se présente à moi, détachée, je n’en ai pas de cette sorte et reste ici dans l’embarras ; les miennes formant le trait, musicalement placées, d’un ensemble et, à s’isoler, je les sens perdre jusqu’à leur vérité et sonner faux », Lettre de Stéphane Mallarmé du 17 août 1898 à un journal qui lui demandait « une pensée » (Mallarmé à Tournon et au-delà, sous la direction de Gordon Millan, Classiques Garnier, 2018).
(3) Les Chants de Maldoror, Chant deuxième, Isidore Ducasse Comte de Lautréamont, Œuvres complètes, La Table Ronde, 1970.
Claude Minière conjugue au présent, essais, poésies et romans, on lui doit notamment : Encore cent ans pour Melville* ; Pound caractère chinois (Gallimard, L’Infini) ; Viallat (essai, Editions Georges Fall) ; Un enfant joue (poésie, Editions Tarabuste).
* http://www.lacauselitteraire.fr/encore-cent-ans-pour-melville-claude-miniere-par-philippe-chauche
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