Un Blanc, Mika Biermann (par Léon-Marc Levy)
Un Blanc, éditions Anacharsis, Coll. Griffe n°13 Fictions, janvier 2019, 156 pages, 9 €
Ecrivain(s): Mika Biermann
Ce petit roman est une confiserie glacée, une récréation divine. Sa lecture est jalonnée de crises de fou-rire inextinguibles, et d’émerveillement devant des paysages aussi splendides que frigorifiques.
Dès les premières pages, on est avertis : ce roman n’est pas un roman, c’est un récit de voyage. Enfin, c’est ce que prétend l’auteur du livre qui aurait découvert les carnets de bord de Hog Patier, cuisinier à bord de l’Astrofant, bateau parti en expédition dans l’Antarctique dans les derniers jours de l’an de l’an 2000, donc du XXème siècle. L’auteur prétend encore que son rôle s’est limité à mettre en ordre ces notes et les corriger. Tant d’ardeur dans la Verneinung (non, c’est pas moi !) nous glisse – on se demande bien pourquoi – un sérieux doute.
Commence alors, « racontée » par des membres de l’équipage, l’aventure polaire : Adolfin Smitt (Chef de l’expédition), Hog Patier (cuisinier), Arg Chant (premier officier).
La première intervention de Hog Patier nous apprend que ce cuisinier peu ordinaire – c’est un nain érotomane – n’a guère le sens de l’odyssée et des événements héroïques. Traverser l’Antarctique déclenche en lui autant d’enthousiasme qu’une traversée de la Loire.
« L’aventure ! De nos jours l’Antarctique est truffé de stations, où des chercheurs japonais branlent des pilotes danois au sauna pendant que dégèlent des vol-au-vent au micro-ondes. Les plates-formes pétrolières sont éclairées comme des arbres de Noël ; dans leurs salles surchauffées des hommes aux bras poilus, et même des femelles, jouent aux fléchettes. L’Antarctique a été traversé par des andouilles à cloche-pied, brandissant une publicité pour litière de chat. N’importe quel seigneur de l’Apocalypse donne aujourd’hui une conférence sur le trou d’ozone en direct du Pôle. Des conneries, tout ça. Couche d’ozone, cholestérol, vaches folles, préservatifs, Palestiniens : j’en ai rien à foutre ».
L’odyssée, en fait, tourne très vite au désastre. L’Astrofant perd des gens en route, un officier fait sécession, on assiste même à du lancer de nain sur fusée de feu d’artifice. Le burlesque le plus désopilant domine largement ce récit. Mais l’originalité forte de Mika Biermann est de trouver un superbe équilibre entre ce burlesque et la fascination, quand même, devant la beauté de l’Antarctique, ses paysages glacés, ses lumières féériques. Même le froid – dans des dimensions qui évoquent les plus grands romans nordiques – devient sous sa plume un élément de poésie chaleureuse. Il est si confortable de lire des récits glacés dans son fauteuil !
« Un vent froid s’est levé, que j’ai senti jusqu’à l’intérieur de mon sac de couchage. Quand j’ai démarré le moteur, sachant que mon carburant sera épuisé dans environ trente heures, la chenille gelée au sol s’est brisée comme du verre. J’ai passé la matinée à construire une luge, me servant du capot de la motoneige. Puis je me suis attelé dans un harnais de cordes. Selon mes calculs, je devrais bientôt arriver aux rives du grand lac de glace. J’ai encore six jours pour atteindre le Pôle. Je suis optimiste. Mon plus grand souci concerne mes yeux, collés par les sécrétions à chaque réveil, et que j’ai du mal à garder ouverts ».
Epopée burlesque assurément, mais épopée toute de même, ce roman est un plaisir de chaque page. Un divertissement de cette qualité est rare.
Léon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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