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Un Batman dans ta tête de David Léon

Ecrit par Marie du Crest 11.04.14 dans La Une CED, Documents, Les Dossiers

Un Batman dans ta tête de David Léon

 

La baignoire de Matthieu

Onzième

 

A Hélène Soulié

 

Il est entré, côté jardin, je l’ai vu passer près de moi, inconnu encore. Il est jeune homme en short, en tee-shirt et il marche pieds-nus comme s’il allait vers une plage du nord. Tout est noir comme chaque fois au théâtre mais une flaque sur le plateau s’anime des reflets rouges et jaunes d’un soleil, d’une lumière de projecteur. Hélène Soulié a fermé la porte de la salle.

Et la baignoire est là, massive matrice des eaux, imposant sarcophage dans lequel il est « blotti dans ses cendres », couche intime, lieu unique de la parole et du théâtre : la baignoire de Matthieu. Souvenir d’une photo de Nan Goldin. Le jeune homme, aux yeux clos, baigne dans un halo bleuté, ses deux mains enchaînent ses doigts fins. Il dort, il rêve, il est mort ? Matthieu a lui un regard un peu halluciné : les yeux de Thomas Blanchard sont grand-ouvert mais ils ne nous regardent pas. Matthieu nous tourne le dos, refuse de sortir de son monde intérieur. Les spectateurs, les autres personnages toujours absents ne sont plus que des ombres, des spectres projetés par un grand miroir installé au-dessus de la baignoire de Matthieu. De toute façon, Matthieu, il a toujours du mal à savoir s’il est quelqu’un et comment parler de lui. Le stade du miroir ; le miroir qui disparaît lorsque Matthieu arrive au bout du texte et de la représentation, au bout de lui-même pour dire JE, en se touchant la tête de la main, légèrement de profil.

Il parle dans la réverbération de sa voix douce, encore enfantine et articulée : l’eau bouge, danse sur les murs noirs de la petite salle du théâtre de la Loge. Il est presque immobile, accroché d’un bras à sa curieuse embarcation pour raconter tous les naufrages de sa vie adolescente : la méchante mère qui crie, Monsieur Omar qui le pousse à mentir et à cacher un vilain secret, le père perdu, la vie médiocre. Mais Matthieu nous parle de Batman, le super héros du jeu, lui peut-être même, un enfant différent. Il nous parle aussi de la beauté et du plaisir qu’il se donne en « s’asticouillant ». Nous l’écoutons, tendus vers lui, vers son seul visage presque décapité, émergeant de l’eau trouble de la baignoire. Nous le voyons de dos et de face, chose si incroyable, impossible dans la vie. Le théâtre, seul, fait des prodiges, violant ses propres règles pour que nous pénétrions l’âme en déroute de Matthieu. Matthieu, il n’est pas un fou, un hurleur, un gesticulateur. Il est comme nous, sur le fil. Il ne bouge que rarement. De simples mouvements suffisent à dire que la parole avance : lever le bras, se tourner vers la salle et nous regarder enfin quand il arrive à articuler « on » ; se lever de la baignoire faisant entendre les gouttes de l’eau qui tombent le long de ses jambes. Se mettre à nu en enlevant le pauvre tee-shirt. Revenir aussi en quelque sorte à la confrontation frontale du public et du comédien sur le plateau parce que Matthieu « se rejoint » comme il a rejoint Batman sous le train qui décapite. Il peut nous parler, nous tous plongés dans le noir : sa présence n’est que celle de ses mots.

Il y a toujours le mal qui rôde, Joker aux larges lèvres sanglantes maquillées sur le visage de Matthieu et celui de Thomas. Le mal absolu du manque d’amour : « on ne l’aimerait jamais ».

C’est si dur et c’est si beau que le noir complet revenu après le silence du JE, nous ne savions pas comment dire que nous étions bouleversés, maintenant que notre image sur le miroir n’existait plus et que Matthieu allait quitter la baignoire pour que Thomas vienne nous saluer en peignoir comme un nageur après l’effort.

 

Marie du Crest

 

La pièce de David Léon, Un batman dans ta tête, a été créée en février 2014 à Montpellier, dans une mise en scène et conception d’Hélène Soulié (projet du collectif Exit), au Théâtre des 13 vents, puis reprise à Paris en mars 2014 au Théâtre de la Loge. Elle a été accueillie chaleureusement par la presse.

 

Le texte de David Léon a fait l’objet d’une chronique dans la Cause littéraire le 23 octobre 2013.

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A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.