Un bâtard en Terre promise, Ami Bouganim (par Zoé Tisset)
Un bâtard en Terre promise, Editions La Chambre d’Echos, février 2018, 173 pages, 16 €
Ecrivain(s): Ami Bouganim
C’est l’histoire d’un exil voulu espéré, ce couple mère et fils quitte Casablanca dans les années soixante pour rejoindre Israël. Ils font partie de la diaspora juive marocaine, le fils est un bâtard judéo-berbère : « Une partie en moi haïssait l’autre en moi. Le juif, l’arabe ; l’arabe, le juif. Je n’ai pas connu la haine de soi. Mais une double haine de soi ». C’est la voix du fils qui s’épelle dans ce livre, douloureusement, car jamais il ne trouvera la paix et la joie. « Je n’ai pas la patience de vivre. Ce n’est pas absurde, c’est incongru ».
On assiste peu à peu à une sorte de désincarnation du narrateur qui perd toute relation avec ce monde étranger qui le renie et l’ignore. Sa seule source « d’être » est de se retrouver sur une terrasse comme s’il était encore à Casablanca. Là-bas, il était promu pour faire des études, il aurait eu une bourse, ici, en Israël, on l’a retoqué à des travaux de champs. On lui refuse la possibilité de devenir médecin. « C’était la même personne que le boursier de l’Alliance, endurcie par les corvées agricoles et galvanisée par trois ans de service militaire, qu’on recalait. Sans raison ; sans excuse ». Sa mère, volontaire pour ce voyage vers la terre promise, n’osera jamais se révolter ou même critiquer ouvertement le pays d’accueil.
« Elle immigrait parce qu’elle était juive et qu’elle ne pouvait se dérober à une lancinante sommation de réaliser un idéal qui montait de ses entrailles. C’était pour elle un ordre quasi divin, unsaisissement quasi messianique ».
Elle essaiera malgré les difficultés de recréer du lien et de garder une identité. Elle farfouillera partout pour lire et faire lire des auteurs français, elle deviendra bibliothécaire clandestine. « On ne parlait plus le français ; on se serait ridiculisé. On nous niait du reste le droit de le parler. Ce n’était pas notre langue, on ne devait pas se cacher derrière elle. En revanche, le marocain étant vu comme langue d’exil, d’attardement et de décadence, on ne le parlait pas sans répondre aux pires stigmates que nos hôtes réservaient à notre mentalité, notre déraison… notre débilitation ».
Le narrateur décrit un pays décadent et en perdition de toute valeur, pour lui Israël est un ghetto. A l’image de cette danoise à la tête d’une entreprise, qu’elle mène à sa fantaisie, sans aucune considération pour ses employés qu’elle répudie comme bon lui semble (« Elle avait besoin de poupées à casser ») ou comme ce jardinier d’origine turc, paria, grand lecteur, qui se suicidera après sa soutenance de thèse. Le narrateur n’a pas de mots assez durs pour dénoncer la corruption et l’enlisement défensif d’un pays devenu mégalomane. « Ce pays est une création de la haine. Il a été bâti en réaction à la pire haine. Il résiste contre le déchaînement de la haine autour de lui. Il se cimente en sécrétant de la haine. Il est saturé de haine mutuelle. Il succombera un jour à la haine. Je n’en doute pas ».
Livre très sombre, embué d’une colère et d’un désespoir immenses, mais qui a le mérite de dire.
Zoé Tisset
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