Un balcon sur l'algérois, Nimrod
Un balcon sur l’Algérois, avril 2013, 174 pages, 18 €
Ecrivain(s): Nimrod Bena Djangrang (Nimrod) Edition: Actes Sud
Début des années quatre-vingt. Paris – c’est-à-dire, essentiellement Montparnasse, Saint-Germain-des-Prés et Montmartre. Nimrod, un jeune étudiant tchadien, arrive de son pays et s’inscrit à la Sorbonne. Les rapports avec sa directrice de mémoire, d’académiques, virent à la passion amoureuse et charnelle. Jeanne-Sophie est fille de colonel et issue de la grande bourgeoisie. Lui est boursier. Il est marié – Maureen, l’épouse, est au Tchad avec leur fille ; elles le rejoindront peut-être. Jeanne-Sophie a toujours eu ce qu’elle voulait et est habituée à posséder ce qu’elle désire. A côté de ces deux personnages, il y a quelques autres dont Bakary, éboueur malien de son état et père d’un garçon qu’il a eu avec Sylvie, une amie de Jeanne-Sophie. Sylvie, également prof à la Sorbonne, est une « fille d’aristos » ; son père est un banquier… Voici comment pense et parle Bakary – au grand dam de sa compagne ; enfin compagne est une façon de parler parce que Bakary a sa fierté d’éboueur. Il tient à son foyer de travailleurs d’Arcueil-Cachan et refuse d’emménager avec Sylvie dans son appartement du 16ème. Bakary donc – il s’adresse à Nimrod :
« Alors, dis-moi, toi qui es sorbonnard comme ces gentes dames, comment s’y prend-on pour vivre avec elles ? J’ai pas encore trouvé la clé. Je suis éboueur, moi ; les livres qu’on jette au rebut sont ma seule référence. Ils disent assez le mépris de ceux qui font profession de les lire. Mais que sais-je ? Je fais partie des mauvais lecteurs. L’idolâtrie du savoir décourage l’instruction des humbles. Ya qu’à voir Sylvie et ses copines. Leur bibliothèque, elle se dresse vers le ciel, tandis que moi, je dois toujours me baisser pour glaner le savoir. Le plancher des poubelles, c’est ma part de science. Ça creuse bien l’écart, aussi bien en hauteur qu’en profondeur ».
Ou – sur son métier :
« La main, elle y passe et repasse pour vérifier la balance des agrégats dans le sac. Geste essentiel : il prévient la rupture des équilibres, nous épargne les épanchements préjudiciables à la rotation des bennes. Notre main est un tensiomètre ».
La relation entre le narrateur et Jeanne-Sophie va finir mal. Quittée (un télégramme, puis un silence obstiné), Jeanne-Sophie renonce à tout amour-propre et se met à supplier son ex-amant dans des lettres où sont appelés au secours Marie de Clèves, Choderlos de Laclos, Stendhal, Rimbaud, Césaire… Avant de se venger cruellement.
Bien entendu, « bourge » « sorbonnard » « Jeanne-Sophie » « aristos » sont au minimum désuets. « Foutre baveux » n’est pas mieux. Le récit est verrouillé et tout (personnages, décors, le lecteur lui-même), en réalité, n’est qu’un miroir dans lequel le narrateur ne cesse de se voir beau et intelligent. Mais soulignons l’émouvante mélancolie de la toute dernière partie du roman intitulée… Un balcon sur l’Algérois. Le narrateur, bien peu en paix, ruminant son sort, c’est-à-dire la « sauvagerie » de l’Histoire, y arpente Paris en solitaire (magnifique !), et consent à un bref amour soumis cette fois à la raison.
Théo Ananissoh
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