Un autre que moi, Véronique Olmi
Un autre que moi, janvier 2016, 137 pages, 15 €
Ecrivain(s): Véronique Olmi Edition: Albin Michel
Un homme se réfugie dans une chambre d’hôtel, un hôtel plutôt minable, pour fuir l’anniversaire que lui a organisé son épouse pour ses quarante ans. Dans ce lieu fermé, ce véritable huis clos, nous découvrons Fred, quarante ans et une réussite sociale et professionnelle affirmée, manifeste et reconnue. Pas forcément une réussite humaine et sentimentale pour autant. Sans qu’il le voie et sans qu’il y croie, son double, Frédéric, sort de l’armoire, en traversant (bien entendu) le miroir. Un double qui accepte, lui, l’anniversaire de ses 80 ans. Double arithmétique donc d’une certaine façon, mais plutôt double alternatif du futur, incarnation des choix pas encore faits mais qui a déjà vécu les décennies à venir en transformant ce qu’il était aujourd’hui, et dans lequel son modèle ne se reconnaît d’abord pas. Qu’il prend pour un autre. Un autre, autre, et pas un autre lui-même. Puis, petit à petit Fred commence à comprendre qu’il n’est qu’un morceau, une ébauche de Frédéric. Qu’il n’est encore aujourd’hui pas tout à fait lui-même. Voilà la célèbre proposition de Rimbaud, le fameux Je est un autre mis en voix, en mots et en scène.
Il y a quelque chose de terriblement narcissique dans ce dialogue d’un homme avec ce lui-même d’un autre temps, aussi semblable que différent. On se dit que cela ne peut intéresser que des quadragénaires ou quinquagénaires englués dans cette crise identitaire qui survient quand ils (ou elles) réalisent qu’ils en sont au mi-temps de leur vie et que le bilan – lourd de ratages, d’occasions manquées, de mauvais choix, de réussites illusoires – en vient à peser plus lourd que le recueil des projets. Ce sentiment que devant eux, il n’y a plus qu’une pente qui descend, irrémédiablement vers la fin.
Face à l’autre, on est face à soi. Face à soi, on est face à l’autre. Il faut alors faire face, comme on dit. Cela n’est pas forcément facile. Pas forcément drôle et détendu.
Fred – Il y en a qui voient surgir des stripteaseuses de leur gâteau d’anniversaire… Et moi : un vieux bipolaire incontrôlable. C’est vraiment la fête…
Frédéric – Tandis que moi, passer mes quatre-vingts ans dans un piaule minable avec un déprimé alcoolique, c’est l’apothéose…
Le conflit entre soi et soi est là et l’assumer est sans doute la seule façon de le dépasser. Comme son prénom abrégé, la vie de Fred est incomplète, inachevée, et la tentation est forte d’écrire sa vie, son nom aussi peut-être, d’une façon qui lui soit propre. Pas forcément attendue ou prévisible. Si prévisible. Programmée, plutôt.
Au delà de cette crise de l’homme mûr (qui peut aussi se décliner au féminin), revient l’interrogation sur les choix que l’on fait ou pas, sur la capacité que chacun peut avoir à modifier son destin. En réponse à la philosophie de Jacques le fataliste et de son désintérêt pour ce qui est écrit dans le Grand Livre, Fred, le quadragénaire, est dans un refus de tout ce qui pourrait être écrit et prévu. Bien de notre temps, il affirme la volonté d’être dans une maîtrise de sa vie, sans restriction aucune :
Frédéric – C’est écrit.
Fred – Ecrit ! Ecrit ! Moi, j’efface tout !
Frédéric – Le destin ne s’efface pas.
(…)
Fred – Je vais tout ré-écrire. Je vais tout changer. Tout !
Frédéric – Tu ne réécriras rien, jeune homme. Tout ce qui m’est arrivé t’arrivera. Et tu ne peux rien y faire.
Fred – Mais je ne serais jamais toi, tu entends ? Moi vivant : jamais !
Quant à savoir si Fred échappera à Frédéric, c’est sur la scène de la vie qu’il faudra le découvrir (éventuellement avec la voix de Claude Rich qui sera Frédéric dans la création de la pièce en février 2016 sur la scène du Théâtre de l’Atelier).
Un texte à lire et dire, à jouer, qui assume clairement un certain narcissisme bourgeois pour ouvrir à une recherche de sens dont le climat, le dispositif dramatique ne sont pas sans rappeler un célèbreHuis clos.
Marc Ossorguine
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