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U4 ; Yannis, Jules, Koridwen, Stéphane, Florence Hinckel, Carole Trébor, Yves Grevet

Ecrit par Laetitia Steinbach 25.08.15 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Jeunesse

U4 ; Yannis, Jules, Koridwen, Stéphane, Nathan et Syros, août 2015, 380 pages, 16,80 € chaque volume

Ecrivain(s): Florence Hinckel, Carole Trébor, Yves Grevet, Vincent Villeminot

U4 ; Yannis, Jules, Koridwen, Stéphane, Florence Hinckel, Carole Trébor, Yves Grevet

Voilà une belle étrangeté qui se démarque des autres parutions de la rentrée par une curieuse numération : 1/2/4. Suite mathématique ? Éléments alchimiques ou ésotériques ? Ou projet un peu fou d’écrivains et d’éditeurs entreprenants ? U4, c’est un titre, deux éditeurs, quatre auteurs ; quatre volumes, deux héros masculins, deux héros féminins, une histoire mais quatre points de vue.

U4, pour « filovirus Utrecht 4 », est une tétralogie qui unit quatre jeunes gens, Koridwen, Stéphane, Yannis et Jules, dans le récit croisé d’un univers post-apocalyptique décimé à 90% par de terribles fièvres hémorragiques. Seuls les adolescents de 15 à 18 ans ayant été vaccinés contre la méningite B, et quelques adultes curieusement épargnés, parviennent à en réchapper. Parmi eux, nos héros, tous experts en survie, en close-combat et en armes de guerre virtuels : fanatiques du jeu vidéo « Warriors of Time », ils se rendent, sans se connaitre, à un rendez-vous fixé le 24 décembre à Paris par Khronos, le maître du jeu et du temps. Dans son ultime message, avant l’extinction des ressources énergétiques et informatiques, il leur affirme connaître un moyen de revenir dans le passé et ainsi empêcher la propagation du virus.

Tous les quatre se croiseront, s’affronteront, s’épauleront dans des récits indépendants mais convergents. Chaque volume, écrit par un auteur différent, présente le destin d’un de ces quatre adolescents épargné par le virus ; chaque volume, et c’est là où réside la gageure de cette entreprise, peut se lire indifféremment et dans l’ordre de son choix, et cela sans que la fin de l’un ne révèle la fin de l’autre.

La trame commune de ces récits se nourrit à la fois de romans d’anticipation classiques (tout comme Je suis une légende de Richard Matheson, elle présente une humanité dévastée par une pandémie d’origine mystérieuse), mais également d’œuvres de réflexion sur la nature humaine et particulièrement sur l’essence des enfants, à l’instar de Sa majesté des mouches de William Golding. Oscillant entre altruisme, folie, dégoût et individualisme, Koridwen, Stéphane, Yannis et Jules sont confrontés à des choix nouveaux et déchirants, dans une société chamboulée par la loi martiale, les dénonciations et la mise en place d’un système coercitif et anti-libertaire.

U4 se trouve de ce fait placé à la croisée d’étonnants chemins de pensée. Celui, quasi philosophique, de la reconstruction d’une civilisation par des êtres relativement neufs car très jeunes : entreprise à la fois rousseauiste dans sa description d’un monde futur plein de rêves et d’innocente naïveté qui se corrompt au contact de la perversion du quotidien :

« J’aimerais un monde différent d’avant. Un monde où j’aurais les mêmes chances… que toi par exemple. Que tout le monde. (…) Un monde où tout serait simple parce qu’on n’aurait pas besoin de grand-chose finalement. J’aimerais plonger mes mains dans la terre pour y faire pousser à manger, pour moi, pour ma future famille, pour d’autres gens aussi, qui ne sauraient ou ne pourraient pas le faire. Un monde où les seules choses qui compteraient, ce seraient le vent, le soleil, la pluie, les rivières, les saisons. Les amis » (Yannis, p.297).

Mais aussi entreprise mystique, puisque les questionnements relatifs à la nécessité de la foi, du bien-fondé de ses actes ou de l’ordre naturel se retrouvent chez tous les protagonistes :

« Une main a tracé au charbon une gigantesque inscription sur l’autel : “Dieu, où es-tu” ? Quelqu’un a répondu à la peinture bleue, sur le crucifix pendu de l’autre côté du chœur : “Ici”. Je m’assois face au Christ en croix, à ce dieu cloué sur un morceau de bois. La croix symbole de souffrance, symbole de salut. (…) La croix n’est pas une réponse. Une question alors ? » (Stéphane, p.330).

« Ce qui me retient d’en finir, ce n’est pas la peur du grand saut, c’est le sentiment de commettre une faute, de transgresser un ordre naturel selon lequel on ne décide pas soi-même de la fin de son existence. Ma grand-mère m’a toujours enseigné que la vie était précieuse, celle des hommes comme celle des animaux ou même des plantes. On ne peut s’autoriser à la supprimer qu’en cas de nécessité absolue. Elle disait qu’on était les cellules d’un grand organisme appelé la Terre, qu’on y jouait tous notre rôle » (Koridwen, p.18).

U4 se place également dans le sillon des romans initiatiques, celui des chemins douloureux, des épreuves qui permettent de passer d’un état à un autre, celui de la révélation de soi, celui qui promet, comme dans les mystères d’Eleusis, la félicité aux citoyens élus. Koridwen, Stéphane, Yannis et Jules sont les mystes d’une société réduite en charpie sur laquelle ils doivent parvenir à reconstruire leurs idéaux, en chassant tous les traumas possibles : morts d’êtres chers, désillusions et trahisons des proches, affrontements physiques, traques sans répit, lois iniques des plus forts.

U4 est donc une histoire polyphonique, racontée au présent et à la première personne, dont le coryphée n’est autre que le lecteur entraîné par le désir de gravir la pente des jours au même rythme que les héros. A la fois roman de tous les morts et de tous les saints (le récit débute le 1er novembre), c’est aussi le roman solaire de la renaissance, puisqu’il s’achève le 24 décembre, jour du solstice d’hiver.

U4 est non seulement un projet original dans sa conception et sa mise en œuvre, mais c’est également l’occasion de découvrir le style et l’univers de quatre auteurs différents : magie, traditions et rêve pour Yves Grevet et Koridwen ; science et nouvelles technologies pour Vincent Villeminot et Stéphane ; générosité et lumière pour Carole Trébor et Jules ; fragilité et compassion pour Florence Hinckel et Yannis. Quatre auteurs donc, quatre voix qui résonnent et s’entrecroisent dans une musique captivante.

A partir de 14 ans.

 

Laetitia Steinbach

 


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A propos de l'écrivain

Florence Hinckel, Carole Trébor, Yves Grevet, Vincent Villeminot

 

Yves Grevet, 53 ans, est l’auteur notamment de la trilogie Méto et du diptyque Nox, chez Syros. Il se spécialise dans l’écriture de dystopies pour la jeunesse.

Florence Hinckel, 41 ans, a écrit #Bleue chez Syros et L’été où je suis né chez Gallimard, entre autres livres. Elle s’intéresse aux amitiés et aux amours adolescentes et décrit avec beaucoup de sensibilité leurs tourments.

Carole Trébor, 41 ans, historienne et réalisatrice, spécialiste de la Russie soviétique, est connue pour sa trilogie Nina Volkovitch chez Gulf Stream.

Vincent Villeminot, 42 ans, journaliste et auteur d’une trentaine d’ouvrages pour adultes et jeunesse, a publié la trilogie Instinct et le diptyque Réseau(x) chez Nathan. Il s’intéresse à l’anticipation scientifique.

 

A propos du rédacteur

Laetitia Steinbach

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Rédactrice

 

Laetitia Steinbach est professeur de lettres modernes dans le secondaire. Elle s’intéresse particulièrement aux albums et romans graphiques et à la littérature de jeunesse contemporaine. Elle travaille actuellement à la rédaction d’une thèse portant sur l’homosexualité dans le roman pour adolescents et l’édition jeunesse.