Tu n’as jamais été vraiment là, Jonathan Ames
Tu n’as jamais été vraiment là, (you were never really here) 29 août 2013. Trad (USA) Jean-Paul Gratias. 98 p. 12,90 €
Ecrivain(s): Jonathan Ames Edition: Joelle Losfeld
Ce petit opus est un concentré de roman noir. La violence – celle du héros par exemple - est totale et fascinante -, l’amertume, l’immoralité, le vice, et, flottant au-dessus de ce monde glauque, un air permanent de nostalgie. La littérature noire traîne toujours cet air-là, comme une aspiration constante à la rédemption, comme le regret d’une pureté perdue, impossible. La mémoire comme dernier refuge d’un bonheur évanoui.
« C’était la fin octobre, et il flottait dans l’air un parfum douceâtre, comme celui d’une fleur qui vient de mourir. Il pensa à une époque où il était heureux. Cela remontait à plus de vingt ans. »
Puis Joe repéra un taxi vert. Il aimait bien les taxis de Cincinnati. Les voitures étaient vieilles, les chauffeurs étaient noirs. Cela lui rappelait le passé. »
Joe est tanné par la vie, la guerre, le crime qu’il a combattu au FBI naguère. La douleur lui sert de deuxième peau, il a tout vu. Mais il reste un homme avec, en dépit des apparences, des lignes qu’on ne peut pas franchir sans le mettre en colère. Et quand Joe est en colère …
Prostituer des mineures en est une, de ces lignes rouges. Quand on demande à Joe d’exfilter Lisa, la jeune fille d’un homme politique en vue, il fonce tête baissée. Et rien ne l’arrêtera, rien, pas même l’invraisemblable vérité qui nous sautera à la face. C’est une sorte de boule de colère pure, de rage incompressible, de violence sans limites avec, en fond d’écran, la nostalgie d’un bonheur ancien, déjà oublié.
L’écriture de Jonathan Ames est vivante. Comme ce qui est vivant, elle change sans cesse, épouse les chutes de Joe, ses explosions de rage. Deux pages ici sans clore une phrase, le flot de l’amertume qui se déverse, inarrêtable. Et là, des phrases courtes, sèches, comme le bruit des coups ou des détonations. Ou comme l’organisation du temps de Joe lorsqu’il décide de passer à l’action.
« Joe coupa la communication. Il avait obtenu l’information dont il avait besoin. Votto était vivant. Il appela ensuite un taxi pour se faire ramener à Penn Station. Il y prit un billet d’avion pour Albany. Il n’y avait que quarante-cinq minutes à attendre. (…) »
L’autre ligne rouge c’est l’assassinat de sa mère.
« Joe sortit de la voiture et suivit le sentier, portant le corps de sa mère dans le sac à gravats – morte ou vivante, elle ne pesait pas lourd. »
La fin est terrible, comme un scénario tragique, de ceux qui ne permettent aucune autre issue que celle choisie par le héros. La vengeance, comme la dernière quête de rédemption, comme le dernier territoire de morale et de sens.
Jonathan Ames nous offre un petit joyau noir et brillant, avec un talent intransigeant.
Leon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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