Trois ex, Régine Detambel
Trois ex, janvier 2017, 144 pages, 15,80 €
Ecrivain(s): Régine Detambel Edition: Actes Sud
L’auteur de Opéra sérieux et de La Splendeur aime assez nous plonger dans un romanesque documenté, où l’histoire nourrit le portrait des personnages. On retrouve ici dans Trois ex ce goût pour des personnages réels, hauts en couleurs. La figure d’August Strindberg sert de fil conducteur à ce récit des trois mariages du dramaturge. L’écriture suit de 1877 à 1912 les soubresauts intimes, familiers, conjugaux de l’écrivain suédois (1849-1912). Trois femmes – Siri, Frida, Harriett – composent ce livre qui passe au scalpel fin les déroutes sentimentales d’un homme, trop conscient de ses mérites, bousculant la tradition, heurtant les bonnes conventions, s’imposant avec brutalité et égoïsme à ses proches.
Qu’il est ardu, pour ces femmes qui l’aiment, de devoir supporter ce caractère infernal (n’a-t-il pas écrit Inferno ?), de subir les emprunts pour ses livres à leur vie personnelle. Ce qu’il fait pour toutes ses connaissances, avec un plaisir semblable : puiser dans les défauts de tout un chacun pour mieux les exhiber dans ses pièces et romans.
Mais Strindberg est un homme qu’on quitte : ses femmes peuvent lui revenir pour un jour le laisser seul avec ses vices, ses tares, son orgueil démesuré. Bien sûr, cet homme souffre comme un enfant mal perçu : de ne pas être reconnu dans son propre pays, de vivre de quelques couronnes comme un miséreux. Certes, cet homme est sale, répugnant, plein de gale. Ainsi le voit-on dans un hôpital parisien pour soigner ses peaux qui se détachent de lui.
Siri, figure du théâtre, lui donne trois enfants. August prendra un malin plaisir à la défigurer dans l’un de ses livres. Il ne peut s’empêcher de nuire à celles qui l’aiment.
Ainsi voyage-t-on, avec grand plaisir, dans cet univers de fin de siècle, peu aimable avec les grands artistes déchus. Il faut attendre une reconnaissance tardive et trébuchante l’année même de sa mort. Il est trop tard, bien sûr.
Régine Detambel a un art consommé de la description réaliste et de la narration. En quelques chapitres intitulés Noces ou Divorcés, elle relate l’intimité d’un grand dramaturge, flamboyant et exécrable. Talentueux et vil. Comme dans un journal, on progresse dans l’intimité du personnage principal et de ses proches, pressentant le pire. L’histoire passe au travers de ce récit, éclairant l’époque, les conventions et les rebuffades de certaines personnalités audacieuses et fougueuses. Au fond, le projet de l’auteur n’est-il pas d’éclairer la nôtre, rétive elle aussi aux vrais talents.
Un beau livre, magnifiquement écrit, personnel aussi dans la mesure où l’auteur s’insinue avec brio dans la trame des narrations. Chaque fois, elle se met à la place d’une ex. Et ces voix traduisent bien les frémissements féminins d’êtres blessés, bafoués par la vie.
Philippe Leuckx
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