Travers du temps, Gérard Titus-Carmel (par Didier Ayres)
Travers du temps, Gérard Titus-Carmel, éd. Tarabuste, avril 2022, 148 pages, 16 €
Valeurs
Je n’ai pas pu me détacher, à la lecture du dernier recueil de Gérard Titus-Carmel, de l’idée que le poète est aussi peintre. De ce fait j’ai analysé son écriture selon une grille plastique. Cela m’a été rendu possible par l’utilisation des couleurs par exemple. Ici, l’écrivain se concentre sur des cercles chromatiques schématiques (ce qui pousse cette poésie vers un temps à la fois nouveau, universel et archétypal) : le blanc, le noir, le gris, l’argenté, un peu de vert, du rouge et du mauve. L’auteur n’hésite pas à créer son poème grâce à des impressions lactescentes, du nacré, décrivant l’effet moutonnant des nuages, des lumières bleues et cotonneuses sur le métier du texte.
Deuxième entrée dans le recueil où encore l’on suppute que la relation peinture/langage est relation langage/peinture, une fusion. Cette ligne forte se retrouve çà et là. Donc, des images construites selon des points de fuite, des perspectives cavalières, des biseaux, des lignes, des angles, des parallèles, de la lumière et de l’ombre, du gras et du maigre, des arrêts sur image.
Le vocabulaire du peintre sert ici le poète. En gros, il s’agit d’apercevoir les valeurs du poème – c’est-à-dire le contraste et l’ombre portée, le dessin et le relief, la ligne, l’intensité chromatique du ton et des nuances. Donc, des armes sculpturales pour rendre les modelés. On excusera ici mes simples notions d’art visuel, mais ce recueil m’a poussé dans ce retranchement que j’ai utilisé avec, d’abord, une expression de critique littéraire.
Et cette brûlure reste sans exemple –
comme l’effondrement des lignes
depuis trop longtemps mêlées
dans le même écheveau serré
de forces & d’élans contraires
rendant vaine toute direction
Tout tend ici à la préoccupation de l’œil. À mon sens, d’ailleurs, la peinture est un art du silence. Elle nécessite une parole, l’œil d’autrui étant instrumentalisé par le langage, la pensée, le tableau. Or, tout doit faire en premier et dernier lieu l’épreuve de l’expression langagière. Sinon, rien n’apparaît, l’on resterait aveugle. Non pas que l’image doive se rendre compréhensible, mais plutôt parce que la langue doit s’arc-bouter sur l’image pour l’agrandir, la capturer un instant, en laissant aller la pensée depuis le punctum.
Cette feuille qu’un souffle détoure :
un regard dans la nuit
sans plus d’image du monde à saisir
que cette silhouette floue
une folie
tout entière pétrie d’absence
Cependant, je n’ai pas tout dit de cette poésie. Il faudrait sans doute explorer davantage les capacités du texte à fonder des valeurs symboliques, voire comment tout simplement fonctionne la fenêtre, notamment à la fois seuil et ouverture, ouverture propre à enfermer et à conceptualiser un espace du dedans et un autre du dehors, en faisant ainsi barrière, barrage. D’autre part, j’ai ressenti assez peu d’égo, du Je, lequel n’arrive que par nécessité, juste pour servir de pronom et non d’idée de soi saturée. Le Je, à la limite, sert de masque. Peu de narcissisme, donc plus de vérité, à la fois sur l’enclosement de la personne et sa liberté. Oui, c’est une poésie libre comme une touche de peinture, riche et pleine d’accès visuels.
Didier Ayres
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