Trafic, Galien Sarde (par Parme Ceriset)
Trafic, Galien Sarde, Editions Fables Fertiles, avril 2023, 146 pages, 17 €
La littérature n’est-elle pas le fil invisible qui relie par-delà les siècles les hommes et les femmes, leurs vies, leurs passions, leurs œuvres et les personnages qui les animent ? N’est-elle pas célébration de l’intemporel, de ce qui demeure au fil des générations ? N’est-elle pas l’écritoire géant de nos quêtes existentielles ? Trafic, le merveilleux livre de Galien Sarde, incarne un peu de tout cela.
Dès les premières pages, on se laisse emporter dans le tourbillon d’une fresque vivante en perpétuel mouvement, à l’image des tumultes de l’existence. Aux « accidents de trafic » (embouteillages, accidents graves, visions cauchemardesques comme ce « visage bandé respirant en réanimation »), succèdent des jeux de lumière qui contribuent à créer une ambiance poétique, onirique et envoûtante. Ainsi, Galien Sarde dépose-t-il ses mots tel un peintre par touches flamboyantes de couleurs, dans un « déluge de lumières ». Il « peint » l’air brûlant de l’appartement où vit le héros, « les rayons de soleil » qui le « flambent », le « criblent » de « lignes étincelantes ». Il recrée des ambiances, immortalise la « féerie solaire » qui règne à proximité du Mississippi, « en se mêlant à l’eau du fleuve », les « teintes charnelles, rose, rouge et or ».
On avance dans le récit en lecteur attentif, tenu en haleine par le suspense, sur la piste du mystérieux tournage d’un film en Louisiane. On se sent propulsé par les « lumières pulsées » des battements cardiaques du héros, Vincent, équivalent contemporain du chevalier Des Grieux du célèbre roman Manon Lescaut, de l’abbé Prévost, et qui, à l’instar de ce dernier, voue une passion infinie à une jeune femme prénommée Manon, dont la beauté renversante a donné vie à ses rêves d’impossible, à sa volonté de fuir un quotidien un peu fade et d’embarquer pour « une croisière à perte de vue » vers des « lointains insoupçonnés »…
« Manon cristallisa ce souhait, ainsi que ses rêves ».
Depuis la rencontre avec la jeune femme, son travail devient un « à-côté incolore ». Il dort peu et revit dans des « nuits fraîches et dorées ». Son amour pour Manon tourne à l’obsession, à « l’envie totale de s’y perdre – de se perdre en elle ». Et, tout comme le héros du roman de 1731, sa passion aveuglante l’entraîne dans des péripéties et trafics multiples et dans un engrenage flirtant avec la fatalité ou l’irrémédiable, jusqu’à avoir un pistolet dans la boite à gants de sa voiture, à côté de la bouteille d’eau…
Cette fuite en avant ouvre une réflexion sur la condition humaine, la vie, la mort, la course du temps, et pose la question du bonheur et de la possibilité ou non d’y accéder. Passion rime ici et comme depuis toujours avec destruction et tragédie. Dans le roman de l’abbé Prévost, souvenons-nous de ces propos de Des Grieux, exprimant son désir fou pour Manon :
« Son esprit, son cœur, sa douceur et sa beauté formaient une chaîne si forte et si charmante que j’aurais mis tout mon bonheur à n’en sortir jamais ».
Trafic, de Galien Sarde, est un excellent portrait de la passion dans toutes ses dimensions, avec sa grande part d’irrationalité, une ode à la femme follement aimée, idéalisée, que célèbre une plume de peintre guidée par le regard d’un esthète. Ainsi le narrateur décrit-il « les inflexions de son port de visage », « comme en un monochrome sans fond ».
Manon est divinisée, auréolée de lumière, de magie et de mystère : « Dans la fraîcheur du crépuscule, il faut dire que ses yeux brillaient, étincelaient » (…) « Tout autour d’elle étincelait une lumière diffuse (…), une brume incandescente (…) transpirée par la végétation (…) et qui semblait monter vers elle ». (…) « Le moindre de ses mouvements accède à une présence confondante, chair et lumière ».
Pour conclure, Trafic est une fresque de vie mouvementée, une aventure déroutante entre réalité et onirisme, une course contre le temps, où l’ivresse de vivre et l’amour passionnel, brûlant et destructeur, sont éternels dans leur universalité.
Parme Ceriset
Galien Sarde, né à Blois, est agrégé de Lettres modernes. Trafic est son deuxième roman après Echec, et Mat, paru en 2022 aux éditions Fables Fertiles.
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