Traduit du Français, Bernard Pignero
Traduit du Français, Ed. Encretoile, avril 2015, 172 pages, 18 €
Ecrivain(s): Bernard PigneroOn le sait amateur et connaisseur d’art, notamment de peinture, de musique, mais aussi de vin, de bons moments ; oui, c’est bien ça, de vie donc. Habitué des paysages du Sud et des brumes Picardes, sachant les regarder, les humer, en parler. Sa vie déjà longue, ses valeurs, ses passions, sa famille, ont déjà conduit sa plume à nous titiller l’intérêt de livre en livre, de chronique en chronique… Et ça, jusqu’à ce qu’on se dise : dans ce bonhomme de chemin, se cache un bonhomme, Bernard Pignero, qui pourrait bien peaufiner d’une belle écriture, sage – pas toujours, « longue en œil » – assurément, des histoires profondes, qui, mine de mine, résonnent – et longtemps – dans nos émotionnels de lecteurs, dans nos vies à nous. Autant dire, un écrivain, un vrai. Et s’il n’en fallait qu’un, ce serait à ce livre de plaider dans ce sens.
Son « Traduit du Français » porte les qualités de ses autres livres, en un « cru » de grande année : récit, façon de le dire en belle langue aboutie, architecture, décor, atmosphère, personnages ! J’oubliais : pas une once d’ennui ; et ça ! Histoire amarrée sur plusieurs générations, autour d’une petite ville du Sud – Cévennes pas loin, qu’on pourrait situer dans Sommières, ou Lodève, dans ce Gard, par exemple, adossé à la montagne, œil vissé vers le sud, éclairé, soleil éclatant, mais zones d’ombres tout autant.
Milieu petit bourgeois, sur le fil de l’aisance, de métier de justice, à l’allure de Sous-préfet aux champs. Dehors, les pierres, l’eau de la rivière, les odeurs de la garrigue, le rythme des saisons chaudes. Dedans, les maisons – on saute de l’une à l’autre ; chacune ayant son mot à dire – les meubles, et les usages – ce rotin, sous la terrasse d’une vieille bastide ; repas pris mi-ombre de Renoir. Et puis, les gens, leurs affects, leurs mystères, leur – bizarre, improbable traçabilité. Pignero joue là, visiblement, une partition, qu’il connaît à la note près. Toutes les trois pages, nous traverse du coup, l’idée qu’il est là, c’est de lui – à tout le moins des siens, dont il s’agit… et, puis, juste derrière, on se prend à douter (postures très réussies d’observation distanciée d’historien ?). Il sait nous perdre ; sentiers de chèvres en montagnettes…
Famille chaude – on s’invite avec plaisir chez eux – parfois se brûlant en criant à bouche plus ou moins fermée – la couleur change, ça s’ennuage, l’orage est près. Clan, ou troupée que « tient » une femme, Sophie Pignero-Leclerc. Femme de ces temps-là, de ce premier XXème siècle – on le voit par chaque fenêtre, juste ce qu’il faut de mots pour bien le dire. Pas la Bovary de province du sud, qu’on aurait pu attendre, une anti, même, une heureuse – quoique ? – des enfants, des trajectoires, deuils, malheurs, un mari – son œuvre affective, son projet : Lucien, le juriste – seconde face de la médaille, fou de peinture – galopant le pinceau à la main, de saison éclairée en froidure dans la garrigue, « à l’âge des poupées… je disais… que j’épouserais Lucien quand je serai grande. Pour moi, il était donc plus vieux que beau, et il l’est resté jusqu’à la fin quand j’avais l’impression de ne pas avoir deux, mais trois enfants, et que celui-ci était le plus difficile à amener à l’âge d’homme ». Drôle de zig, le mari, un peu (dépressif ?), pas fini de grandir ? Les psy nouveaux style, diraient probablement : pluriel. Et, comment ! Lisez donc, jusqu’au bout ce livre. C’est par elle, par sa voix de femme, mère, épouse, qu’arrive – un peu comme en Afrique – le récit de ces vies, destiné aux enfants. Récit, de ce qu’on a dit, pas dit, qu’on sait, qu’on croit savoir ; de ce qui – comme dans tous les secrets de famille, de toutes les familles – a fini au fond du puits d’où sortiront, remaniées, les vérités de demain, pour continuer le chemin.
Car, mine de rien, et – décidément, c’est l’Afrique et ses paraboles infinies sous les arbres à palabres – au travers de ces histoires croisées, de ces personnages colorés-touche impressionniste, et quelquefois, fauve, de ces voix assourdies dans le soir, de ces marchés encigalés du Midi, c’est une autopsie rigoureuse, presque maniaque de précisions, que nous donne à lire Pignero, celle du secret de famille – et, quel secret ! Emporté de génération en génération, ficelé au fond des armoires ; un bout à peine visible de ficelle jaunie dépasse. Qui va tirer et dérouler ? En avoir le courage, ou le devoir ? Qui, si ce n’est la femme-debout de la famille. Celle – et le titre du livre de prendre tout son sens – qui, à ses moments perdus, a « Traduit du français » des œuvres anglaises, ou bien, a fini par écrire elle-même des histoires sans rien dire à personne… Bidouillage complexe, cuisine secrète d’écriture, de qui écrit, qui traduit, qui dit, à qui… traduire, aller au cœur des mots, des faits, de la vie même… percer à jour tous les secrets et puis les transcrire, et forcément les ordonner, pour que la communication prenne sens… A l’instar de la photo diaprée de la couverture ; nuit, branches nues d’arbres, lune pour ainsi dire pleine, vent ; on est à ce moment où la lune va s’estomper, voire disparaître, et où la nuit noire peut (pas une certitude) tout recouvrir. Moments de bascule, comme l’histoire de ce livre – grave – vous l’aurez compris, jamais complètement ouverte, comme on aime en entendre, avec – serait-on dans Pignero, sans cela – des soupçons de mélancolie, de nostalgie douce-amère, de poésie, finalement :
« Comme votre père voyait dans la peinture de Soulages ce qu’il importe de peindre, je devrais pouvoir discerner ce qui mérite d’être écrit, mais il n’y a pas de modèle pour celui qui se sert du langage pour découvrir le sens caché de la vie… la peinture, la musique visent l’ineffable, l’indicible, autrement qu’en le disant. Elles peuvent donc l’atteindre ; on ne peut pas dire avec des mots ce que les mots ne peuvent pas dire », sauf, à traduire, peut-être, donc, prendre des détours, à nos risques et périls, murmure l’auteur…
Martine L Petauton
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