Toutes ces voix, David Léon (par Marie du Crest)
Toutes ces voix, janvier 2020, 43 pages, 11,90 €
Ecrivain(s): David Léon Edition: Espaces 34
David Léon a publié de nombreux textes de théâtre depuis 2011, qui ont été mis en scène pour la plupart d’entre eux ou qui ont fait l’objet de mises en voix, de mises en espace. En 2014, il a été lauréat des Journées de Lyon des auteurs de théâtre. Ses textes abordent notamment les thèmes de la violence familiale, de l’adolescence. Sa langue est une langue poétique, vibrante.
Toutes ces voix est un texte très court de quelques dizaines de pages, un peu comme un carnet dans lequel l’auteur compilerait, tel un dessinateur crayonne une scène, un paysage qui l’entoure, les voix (une matière sonore et de sens) de ceux et celles qu’il fréquente, au sein d’un foyer pour adultes schizophrènes et psychotiques, où il travaille comme éducateur. Ces voix apparaissent en italiques, entre guillemets comme des citations qui vont peu à peu édifier le texte littéraire. On se souvient que Svetlana Aleksievitch, dans un tout autre contexte, avait enregistré les témoignages oraux de soldates soviétiques de La Grande Guerre patriotique et avait « fait livre » avec toutes ces expériences (cf. La guerre n’a pas de visage).
Les résidents (une femme, un homme) sans nom, quant à eux, parlent à David, lui racontent leur quotidien, les symptômes de leurs diverses pathologies, lui posent aussi des questions sur sa vie privée. Cette matière s’approche du langage dramatique, du dialogue en gestation entre des personnages de l’institution spécialisée. Le texte appartient en outre à une collection théâtrale. La parole de l’auteur, du je, s’intercale entre celles des patients : il s’agit d’une analyse de ce qui fait écriture, de ce qui fait passage du réel à la composition. Elle ressemble à celle d’un coryphée antique, décrivant l’action parlée ici, exposant ce qui constitue son propre travail d’écrivain à l’œuvre. Dès le début, David Léon s’interroge d’ailleurs sur la dualité de sa position :
J’ai toujours pensé qu’il me faudrait écrire un jour sur cet écart.
Entre ce travail d’éducateur que j’exerce, ce travail absolument ancré dans le réel, au quotidien, et ce travail de la littérature, pris dans le filtre du culturel.
Les voix (toutes) se répondent, se superposent ainsi puisque certains entendent des voix intérieures, des voix dans la tête, qu’ils expriment en direction de leur éducateur. L’auteur/David, à son tour, les entend, les accueille et les projette en direction des lecteurs et un jour, des spectateurs. Elles sont phrases, mots. La trajectoire, que suit le livre, relève, au fond, de l’aboutissement de cette appropriation des propos tenus par les pensionnaires mais plus encore de cette communauté humaine réunie par l’acte d’écriture : j’ai pensé alors que toutes leurs voix étaient maintenant devenues miennes, en vérité. L’homme vrai et l’homme fou dont parle M. Foucault en exergue du volume sont indissociables. Et le texte advient.
Marie Du Crest
Les autres textes de D. Léon sont édités chez Editions espaces 34.
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