Tout s’effondre, Chinua Achebe (2ème critique)
Tout s’effondre, nouvelle traduction de l’Anglais (Nigeria) par Pierre Girard, octobre 2013, 225 pages, 21,80 €
Ecrivain(s): Chinua Achebe Edition: Actes SudDe son immense œuvre, Tout s’effondre occupe une place à part. Publié en 1958, c’est le roman qui a fait connaître Chinua Achebe et l’a propulsé sur la scène littéraire internationale puisque l’œuvre a été traduite en une cinquantaine de langues et vendue à des dizaines de millions d’exemplaires.
De plus, son intrigue présente l’histoire de la colonisation de l’Afrique par les Européens en adoptant le point de vue africain. Chinua Achebe met en scène un personnage littéraire de première importance, Okonkwo, car il porte l’histoire de l’Afrique de son apogée à sa chute au travers les vicissitudes de sa propre destinée.
En effet, dès l’ouverture du roman, Okonkwo dont le nom signifie « feu qui dévore tout » jouit d’une position sociale de prestige dans le village ibo d’Umuofia. Il est un riche fermier. Chef de son clan, il surveille ses trois épouses et règle les conduites de ses enfants selon les attentes du clan. Façonné par une société traditionnelle agraire, il respecte les rites des saisons, pratique les sacrifices pour honorer la mémoire de ses ancêtres et attirer la protection des dieux tutélaires du clan. Enfant du clan, il est aussi l’un des sages qui officient à l’établissement des règles pour maintenir le village dans l’observance des traditions.
« C’était aussi un riche fermier avec ses deux granges pleines d’ignames, et il venait d’épouser sa troisième femme. Pour couronner le tout, il avait pris deux titres et avait accompli d’incroyables prouesses lors de deux guerres intertribales. Ainsi, malgré son jeune âge, Okonkwo était déjà l’un des grands hommes de son époque » (pages 18-19).
Cependant, le monde change et il parvient au village une rumeur grandissante évoquant la présence d’hommes Blancs. Okonkwo se rit de ces propos et continue son existence sans inquiétude ni peur. Mais, le faste du personnage touche à sa fin avec son exil qui le précipite dans un monde nouveau et réduit ses certitudes à néant…
Tout s’effondre raconte à la manière d’une fable violente et tragique le destin d’un fier guerrier refusant d’assister, impuissant, à la destruction de son monde. Chinua Achebe devient un griot habile qui sait nourrir le suspens qu’engendre son récit. En effet, Tout s’effondre s’organise autour de trois parties dont l’action croît en crescendo. Le début est la consécration d’un ordre ancien et de sa structure sociétale dans laquelle Okonkwo endosse le rôle d’officiant et de régulateur. Progressivement son univers s’assombrit. C’est le temps de l’exil et de l’ostracisme, annonciateur du drame à venir. La fin du récit correspond à la mainmise de l’Europe sur les terres africaines et l’expulsion d’un ordre ancien africain hors du champ de la narration au profit de l’œuvre civilisatrice en Afrique.
Ainsi, Tout s’effondre offre une lecture plurielle. Il donne la voix aux vaincus et restaure la vérité sur la colonisation de l’Afrique car « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur ». Prenant ce proverbe africain comme précepte, Chinua Achebe écrit l’histoire de cet homme, de son combat et de son refus de soumission et contrarie ainsi la version du commissaire blanc dans son récit de geste : La pacification des tribus primitives du Bas-Niger.
La nouvelle traduction de ce roman et sa réédition par Actes Sud rendent hommage à cet auteur à plus d’un titre. Dans son interview donnée à la RFI, le 27 Décembre 2013, le responsable de la collection Afriques chez Actes Sud, Bernard Magnier, insiste sur l’importance de rééditer le roman : « Pour trois raisons principales : tout d’abord la volonté de faire (re)connaître dans le monde francophone cet écrivain majeur et ce livre capital dans l’histoire littéraire africaine, ensuite parce que son agent nous a proposé de rééditer son œuvre, enfin parce qu’il nous a paru important de retraduire ce titre, c’est-à-dire de faire avec une œuvre africaine ce qui se fait couramment avec d’autres œuvres du monde. C’est, je crois, la première fois qu’un roman africain est retraduit ! »
Victoire Nguyen
Lire la critique de Patryck Froissart
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