Tout peut commencer à trembler, Lucien Noullez (par Didier Ayres)
Tout peut commencer à trembler, Lucien Noullez, éd. de Corlevour, avril 2020, 96 pages, 16 €
La poésie m’apprend que j’appartiens aux autres
Lucien Noullez
La banalité, l’infini
Lucien Noullez semble un être fragile parce que sa poésie est frémissante, simple, évanescente et fugitive, car les objets qu’elle saisit sont simples, frémissants. Elle est aussi lyrique et sans emphase : cantilène, chant, musicalité de forme sonate, harmonies de motets ou de madrigaux, en bref une musique intime et directe.
C’est ce balancement de la chose poétique qui va aux événements ordinaires, cette hésitation entre le profane et le sacré, cet exercice difficile de la banalité et de l’infini qui m’a saisi tout entier. En effet, j’y ai vu l’infinie intelligence des petites aventures banales de la vie de tous les jours, ressaisies par une description de l’immanence littéraire des choses et des récits du quotidien, sorte de poèmes du Je-ne-sais-quoi et du Presque-rien.
C’est là que se jettent ses hymnes avec leurs habits de tous les jours, l’œuvre de l’éternité ordinaire. Malheureuse ou heureuse, cette vision qui dédouble le monde par la poésie devient la pierre angulaire de ce style particulier construit sur des effluves de matière familière, des petites choses où se loge la vraie antienne de ce dialogue entre le rare et le magistral.
Ce n’est pas pour autant une poésie des objets, comme celle de Ponge, mais un exercice difficile, l’apprentissage de l’irréalité des détails, qui échappent parfois à l’œil ou l’oreille commune, mais qui sont somme toute la vraie vie. Donc, des poèmes qui vivent au milieu des détails, qui servent les objets plutôt qu’ils ne s’en servent.
De là, le poète que je qualifiais de fragile, mais qui serait davantage un homme à l’humeur douce, légèrement ironique, ému par la faiblesse des petits signes de l’existence, qui pourtant se dissocient et nous entraînent avec lui dans la joie, dans sa joie d’écrire.
Je crois que cette démarche tend vers l’essentiel, par ailleurs, oui, vers l’infini, quête sans doute plus horizontale, faite de la linéarité des motifs de la vie courante, plutôt que d’une haute verticalité désincarnée et froide. Mais cela n’empêche pas que le lecteur s’exhausse dans sa lecture, car ce partage de la réalité est le même pour le poète. On peut partager, et faire nôtre ce langage alerte.
Je crois que je suis chatouillé par un archet.
Par un cheval qui pleure à la fin de sa course,
et qui va s’effacer,
je me retourne.
Où sont les grandes dunes, les galops ?
Je me retourne.
On a éteint la plage.
Il reste un petit bout d’archet,
la musique va s’en aller, je n’ai jamais su
retenir quoi que ce soit.
Fuite du temps, interrogation sur dieu, la mort ou le désir et son empathie pour la joie, avec le reste du monde fût-il si anodin, la nécessité d’autrui, le besoin de présence, de la présence. C’est tout cela qui forme l’arrière-monde de ces textes qui n’effacent ni la banalité ni la totalité qu’ils atteignent par la musique, l’espoir, le chant.
[…] La pierre du repos
n’existe pas, c’est pour cela que tu
regardes avec amour
les évangiles transpercés.
Didier Ayres
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