Tout ce qui fait BOUM, Kiko Amat
Tout ce qui fait BOUM (Cosas que hacen BUM), mai 2015, traduit de l’espagnol par Margot Nguyen Béraud, 296 pages, 22 €
Ecrivain(s): Kiko Amat Edition: Asphalte éditionsDrôle de type que Pànic Orfila. S’il n’y avait que son nom pas ordinaire. Lui non-plus n’est pas ordinaire, même, surtout, s’il est en pleine recherche d’il ne sait trop quoi dans une adolescence qui n’arrive pas à finir. Devenu orphelin à 8 ans et alors élevé par la grande tante Angels, passablement allumée mais très maternelle, il a étudié dans les livres qu’elle avait à la maison. Rien que de la subversion de première bourre : anarchistes, situationnistes… La grande référence de son éducation, c’est Stirner. Max Stirner. L’unique et sa propriété. La mythique référence de l’anarchisme. Il a aussi bien retenu quelques devises que la grande tante lui rappelle à l’occasion entre deux expéditions activistes et subversives : « bouge ton esprit et tes fesses le suivront » ou « ne les laisse pas te transformer en fourmi ouvrière ».
Entre recherche de l’amour idéal (nécessaire pour atteindre le 9e niveau), éthique de la masturbation et recherche d’identité, Pànic débarque pour une nouvelle vie à Barcelone, en principe, mais vraiment en principe, pour suivre des cours de philologie à la fac. Hébergé par une « fausse tante », Lola, il va vite apprendre à vivre d’autres vies. Une autre vie surtout, où son personnage va devoir apprendre à évoluer et se transformer, en commençant par changer de look puis en apprenant à se contenter de ce qui se présente, de ce qu’on veut bien lui lâcher.
La rencontre décisive sera celle d’un groupe de dandys conspirateurs qui vont petit à petit l’accepter puis l’embarquer dans un grand projet dont il ne parviendra pas à connaître la nature. Par contre il va développer, grâce à cette inédite bande des quatre, une connaissance poussée des amphétamines et de quelques autres produits… La dope et les aventures amoureuses, les excès radicaux qui en découlent, vont compléter son éducation, déjà bien particulière, jusqu’au jour du grand projet où il jouera, on le lui a promis, un rôle essentiel, indispensable et irremplaçable…
Cela commence par un vol plané à 111 km/h, entre un scooter et un arbre… Dans l’intervalle duquel toute la vie de Pànic ressurgit, avec ses folies et ses éclats de rire, ses illuminations et ses désespoirs. Attentif à son image dans le miroir du bar et comptant sur elle pour qu’elle lui révèle des vérités et l’alerte de ses propres transformations, Pànic évolue aussi sous le regard occasionnel d’un autre personnage, qui échangera quelques mots avec lui, pour lui confirmer que pour chuter il faut bien grimper : Kiko Amat est le nom de ce personnage !
Si vous ne l’aviez pas deviné, précisons-le, Tout ce qui fait BOUM est un roman détonnant où l’humour qui grince est roi. On pourrait sans doute, en écho aux prétentions d’études littéraires de Pànic, considérer qu’il s’agit d’un roman d’apprentissage, et même, à y être, d’un « bildungsroman », mais alors d’un genre bien particulier (l’éducation comme le roman), dandy, destroy et musical. Car la musique est omniprésente dans le roman comme dans la vie de son personnage principal et narrateur (et dans celle de l’auteur, visiblement). De chanson en chanson, on y découvre un répertoire très sixties et un humour qui grince jusqu’à faire mal, rappelant combien avoir 20 ans (ou presque), ce n’est pas forcément le plus bel âge de la vie, comme l’écrivait Paul Nizan au début d’Aden-Arabie : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie » (un roman que le jeune Pànic a dû aussi découvrir dans la bibliothèque de l’inénarrable Angels).
On pourrait se complaire dans le glauque, mais l’écriture de Kiko Amat est tellement joueuse (certaines scènes écrites comme des scènes de théâtre, avec dialogues, didascalies et baisser de rideau), l’ironie et la complicité avec le lecteur est telle, que tout passe, chargé de rire et de dérision, tout aussi salutaires l’un que l’autre. Cela ressemble souvent à une énorme farce, mais sous bien des aspects d’un réalisme assez cru ou « vert ». Une littérature qui se joue sans gêne de toutes les conventions, d’où qu’elles viennent. Une écriture libre, libertaire et réjouissante.
Allez. Osons le jeu de mot : au delà de son titre voilà un livre qui pourrait bien faire BOUM !
Indispensable PS : Bravo et merci à l’éditeur et à la traductrice pour la découverte et la qualité de traduction.
Marc Ossorguine
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