Tout ce qui est à toi brûlera, Will Dean (par Patryck Froissart)
Tout ce qui est à toi brûlera (The last thing to burn), Will Dean, mars 2022, trad. anglais, Laurent Bury, 267 pages, 20 €
Edition: Belfond
Un roman de l’horreur, qui semble tout droit sorti de la sinistre cave d’un Dutroux, ou inspiré par ce qu’a vécu la jeune autrichienne Natascha Kampusch pendant huit ans. Si l’auteur a eu le dessein de montrer un exemple de la monstruosité qui peut animer un individu dans son rapport à certains de ses semblables sur lesquels il lui est permis circonstanciellement de s’arroger un pouvoir absolu, il y a réussi.
La narratrice, Thanh Dao, qui parle à la première personne, obligeant ainsi le lecteur à ressentir conjointement les horreurs de sa captivité, est une jeune Vietnamienne, arrivée clandestinement dans un conteneur en Angleterre avec sa sœur Kim-Ly dans un « lot » de migrantes attirées par la promesse d’un travail correctement rémunéré leur permettant de poursuivre des études universitaires tout en faisant parvenir une aide financière à leur famille. A leur arrivée, les passeurs les louent puis les vendent en catimini à divers « patrons » – ici un propriétaire terrien vivant reculs dans une ferme isolée – qui ont tout loisir de les exploiter à leur gré de façon évidemment totalement occulte. Alors se met en place l’emprise, alors commence un long, un terrifiant calvaire.
Assujettissement psychologique : chaque « faute » est « punie » par la mise au poêle d’un des objets personnels que l’esclave, rebaptisée Jane et ayant interdiction de prononcer le moindre mot de vietnamien, a emportés dans son exil : ses quelques photos de famille, ses papiers d’identité, le roman de Steinbeck, Des souris et des hommes, à quoi elle tient énormément, et les lettres de sa sœur, que le bourreau prétend être employée clandestine à Manchester et qu’il menace de dénoncer et de faire expulser si « Jane » réussissait à s’enfuir.
Tout ce qui est à toi brûlera.
L’obligation de soumission, déjà insoutenable, croît encore lorsque naît « accidentellement » une fille de cette union ignoble, dès lors que le persécuteur, s’octroyant droit de vie et de mort sur la petite, avertit la mère qu’il la noiera dans un fossé comme un chaton en cas de nouvelle velléité de fugue. Privation d’identité, perte totale d’intimité (la toilette et les besoins les plus intimes doivent se faire devant les yeux du maître), obéissance absolue, observation sans faille, sous peine de punition, des règles maniaquement imposées, des plus courantes (les œufs au plat doivent être cuits exactement comme les cuisait l’autre Jane, la défunte mère du tortionnaire) aux plus sordides (y compris, évidemment, celles d’ordre sexuel) : l’asservissement calculé dans ses moindres gradations aboutit à une telle dépendance, à une telle servilité forcée que se produisent de temps à autre des symptômes du syndrome de Stockholm, à l’occasion d’une petite « faveur » accordée à contre-cœur par le tyran, comme dans cette scène qui pourrait être celle, familière, du souper d’un couple « normal » :
« J’ai envie de l’embrasser. J’ai envie de lâcher cette poêle, cette cuisinière, pour me laisser tomber à ses pieds pointure 46.
– Merci, dis-je en faisant brunir les saucisses aussi régulièrement que je peux.
Nous mangeons en silence.
– Elles étaient bonnes, les saucisses.
Normalité affirmée régulièrement, avec une délectation morbide, par le martyriseur, au dessein de rendre encore plus cuisante, plus oppressante, plus humiliante pour la victime sa situation d’intégrale dépendance.
Assujettissement physique : après une première tentative de fuite, « Jane » subit une punition ressemblant à celle infligée aux esclaves marrons à qui les maîtres faisaient couper les jarrets pour empêcher la récidive : le fermier lui fracasse une cheville avec une lourde pince coupante.
Glaçante démonstration de l’abjection dont sont capables de faire montre certains êtres humains potentiellement ordinaires lorsque leur est donné le pouvoir sur leurs semblables, illustration « modèle réduit » en un lieu clos « familial » de l’ignominie de masse des tortionnaires qui ont marqué l’Histoire de l’Homme du sceau de leur infâmie, de ceux qui ressurgissent hélas dans une actualité internationale préoccupante en ces premiers mois de 2022, de ceux qui attendent embusqués, drapés dans leur idéologie nauséabonde, que les aléas des régimes pourtant les plus démocratiques leur permettent de s’emparer du pouvoir et de mettre à exécution leurs projets immondes.
Patryck Froissart
Will Dean a grandi dans les East Midlands en Angleterre, mais c’est en Suède, au cœur d’une forêt reculée, qu’il s’est installé pour s’adonner à ses deux passions, l’écriture et la lecture.
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