Identification

Tous les chiens sont bleus, Rodrigo de Souza Leão (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 16.01.24 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Tous les chiens sont bleus, Rodrigo de Souza Leão, éd. Le Lampadaire, novembre 2023, trad. portugais (Brésil), Émilie Audigier, 94 pages, 13 €

Tous les chiens sont bleus, Rodrigo de Souza Leão (par Didier Ayres)

 

Morbidité

Ouvrir ce recueil de textes dont l’originalité réside dans la biographie même de l’auteur (lequel a subi de graves traitements psychiatriques) nous mène à son projet littéraire venant comme en surplomb à sa vie d’aliéné rayonnant. À quelque chose d’approchant quant au thème, du monde douloureux de la poète Béatrice Douvre. Expérience de l’enfermement, mais ici vécue et conçue par un créateur. Travaux qui n’excluent pas l’organicité, le caractère organique du corps malade. Fou, aliéné, voyant, souffrant, personne atteinte de schizophrénie, d’un mal-être général, à la limite de la destruction, de l’autodestruction.

Les schizophrènes au trouble délirant ne tiennent pas parole. Ils gardent en eux une immense haine de la maladie. Personne n’accorde d’importance à ce qu’ils disent. Je ne pouvais dire à personne que Rimbaud croyait que j’avais tué Redoutable Fou. Pas Baudelaire. Il savait que je n’avais rien fait.

Claustration, rétrécissement du monde à un simple égo, à une entité polymorphe, qui cherche sa destinée (qui s’achèvera à 44 ans avec un parcours de vie chaotique). Le poète lutte contre l’institution psy, et confronte sa destinée avec sa maladie, se restreint aux pulsions, à un univers pulsionnel, un combat contre lui-même, ce qui fait du poème un enjeu de vie. Cependant nous sommes dans un cauchemar, au milieu des infirmiers qui distribuent des psychotropes puissants, où le patient (ici l’auteur) est parfois pris dans des mesures de contention (à la fois privation de liberté et d’activités intellectuelles de l’écrivain, qui vit sa vie psy au deuxième degré). Cela aboutit directement à une morbidité élevée. Sa santé mentale est aléatoire, erratique, convulsive.

En un sens ce réalisme des situations vécues par Rodrigo de Souza Leão verse vers un surréalisme d’un genre hybride, sorte d’écriture automatique, monde abstrait néanmoins, pareil à l’errance dans de grands espaces de la peinture de Tanguy ou de Dali.

Ces textes oscillent entre le témoignage sur l’asile, sur l’internement psychiatrique et la saisie à la source (si je puis dire) d’une ou plusieurs bouffées délirantes aigües. Cette écriture est en phase avec son sujet. Claustration : tel est sans doute aussi le destin de l’écrivain (?).

Mon père apparaît l’un des jours de visite. C’est lui qui m’a interné, mais je n’ai pas de haine dans mon cœur. J’aime cet homme. Il m’embrasse.

Ça va, mon fils ?

Je veux sortir de la cage.

 

Didier Ayres



  • Vu: 1161

A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

Lire tous les textes et articles de Didier Ayres


Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.