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Ton absence n’est que ténèbres, Jón Kalman Stefánsson (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal 20.03.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Pays nordiques, Roman

Ton absence n’est que ténèbres, Jón Kalman Stefánsson, Folio, janvier 2023, trad. islandais, Éric Boury, 608 pages, 9,70 €

Ecrivain(s): Jon Kalman Stefansson Edition: Folio (Gallimard)

Ton absence n’est que ténèbres, Jón Kalman Stefánsson (par Didier Smal)

 

Ouvrir un roman de Jón Kalman Stefánsson est la certitude de plonger dans une « islandéité » poétique qui pourtant renvoie, comme toute grande œuvre, à l’universel des ressentis. C’est aussi le cas avec Ton absence n’est que ténèbres, Prix du Livre Étranger France Inter-Le Point en 2022 et aujourd’hui réédité au format poche : on retrouve ce qui a pu envoûter dans la trilogie Entre ciel et terre, La tristesse des anges et Le Cœur de l’homme, ainsi que dans Asta, mais, car il y un « mais », le sentiment qui ressort de Ton absence n’est que ténèbres est que la lumière ne parvient plus que par accident à percer dans une atmosphère appesantie.

Peu importe que la phrase-titre soit en fait l’épigraphe lue sur une tombe par le personnage principal, peu importe que soit composée au fil du roman une « Compilation de la Camarde » (aux choix aussi éclectiques que parfois surprenants) – ce qui marque le plus est une ambiance lourde, où le passé pèse et le présent ne réjouit guère (une réfugiée devenue proche des protagonistes qui a subi un viol drogué et filmé, pour ne citer qu’un seul exemple).

Stefánsson se laisse prendre à l’atonie de son personnage principal, amnésique et de retour dans un village où tout le monde semble le reconnaître, et en arrive ainsi à réduire Édith Piaf à une « chanteuse de la douleur, née au pied d’un réverbère au début du siècle passé, qui vomissait du sang sur scène, pas plus grande qu’une bouteille de vin rouge, mais dotée d’une voix plus vaste que la mort ». Personnage amnésique dans une époque amnésique, ou du moins ayant une certaine propension à ne pas se souvenir du beau.

Contrairement à ce qu’on avait pu lire dans les quatre romans précités, on a l’impression qu’aucune transcendance n’est à espérer dans Ton absence n’est que ténèbres, que la poésie de l’écriture, présente et bien présente, ne lèvera rien du brouillard de ces vies racontées d’un siècle à l’autre – car le passé et le présent sont entrelacés dans ce roman, d’un pasteur qui écrivait des lettres à Hölderlin au mitan du dix-neuvième siècle (et tombe amoureux d’une littéraire façon, bien qu’il soit marié) à la résurgence du tourisme après la pandémie de 2020. On aimerait se laisser prendre aux répétitions rythmées de Stefánsson, à la virtuosité avec laquelle il entremêle les récits, travaillant sur la mémoire et le désir de celle-ci – mais son allégeance à ce qui rend l’époque impossible à vivre, même si c’est cela qu’il pourfend (car nombre des personnages de Ton absence n’est que ténèbres sont emplis du désir de vivre), rend difficile voire impossible le véritable plaisir de la lecture, autre qu’intellectuel ou du moins appréciateur de la qualité littéraire de ce roman.

En fait, même si cela peut sembler cruel de l’écrire, l’impression que laisse Ton absence n’est que ténèbres est celle d’une nobélisation à venir : Stefánsson parle de l’époque dans une construction virevoltante et une langue d’une précision affolante (du moins se fie-t-on à Éric Boury, qui semble rendre à merveille la distance linguistique avec l’islandais tout en offrant un beau et vibrant texte fluide en français), et cela peut être célébré. Mais on peut aussi se demander s’il n’existe pas un point où soudain un artiste, peu importe l’art pratiqué, perd un tant soit peu de sa magie : c’est lorsqu’il prend conscience qu’il « fait œuvre ». Stefánsson semble en avoir pris conscience. On peut préférer ses premiers romans traduits en français, plus fulgurants et lumineux dans leurs ténèbres.

 

Didier Smal


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A propos de l'écrivain

Jon Kalman Stefansson

Jón Kalman Stefánsson (né le 17 décembre 1963 à Reykjavik) est un auteur islandais. Il grandit à Reykjavík et à Keflavík.

Après avoir fini ses études au collège en 1982, il travailla en Islande de l'ouest (par exemple dans les secteurs de la pêche et de la maçonnerie). Il entreprit ensuite des études en littérature à l'université d'Islande de 1986 à 1991, mais sans les terminer. Pendant cette période, il donna des cours dans différentes écoles et rédigea des articles pour le journal Morgunblaðið. Ensuite (de 1992 à 1995), il vécut àCopenhague, où il participa à divers travaux et s'adonna à une lecture assidue. Il rentra en Islande et s'occupa de la Bibliothèque municipale de Mosfellsbær jusqu'en 2000. Depuis, il se consacre à la production de contes et de romans.

 

(Source Wikipédia)

A propos du rédacteur

Didier Smal

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Didier Smal, né le même jour que Billie Holiday, cinquante-huit ans plus tard. Professeur de français par mégarde, transmetteur de jouissances littéraires, et existentielles, par choix. Journaliste musical dans une autre vie, papa de trois enfants, persuadé que Le Rendez-vous des héros n'est pas une fiction, parce qu'autrement la littérature, le mot, le verbe n'aurait aucun sens. Un dernier détail : porte tatoués sur l'avant-bras droit les deux premiers mots de L'Iiade.