The Lulu Projekt, Magali Mougel
The Lulu Projekt, 2017, 53 pages, 13 €
Ecrivain(s): Magali Mougel Edition: Espaces 34
What else should I be ?
Force est de reconnaître qu’il existe depuis déjà de nombreuses années un théâtre écrit pour les adolescents, joué par eux dans le cadre d’ateliers, d’options scolaires mais aussi d’institutions dont la programmation est tournée prioritairement vers ce public « jeunesse » ; on peut citer le TGN de Lyon ou Am Stram Gram dirigé par Fabrice Melquiot à Genève. Le système actuel des subventions publiques oblige la création pour des scènes nationales ou des centres dramatiques nationaux de plusieurs spectacles destinés aux enfants par saison. Les auteurs, leurs éditeurs accompagnent ce mouvement. Suivent aussi les prix littéraires dédiés. Certains auteurs d’ailleurs en dehors de leur bibliographie générale signent de nombreuses pièces « jeunesse » comme E. Bond, dès le début des années 2000 ou Fabrice Melquiot en France.
Au fond, c’est quoi le théâtre jeunesse ? Ecrire pour une distribution adolescente ? Créer des personnages relevant de cette tranche d’âge ? Aborder à travers les œuvres des thèmes prédéfinis qui correspondraient aux 10-25 ans (la puberté, la découverte de l’amour, l’école, les rêves de vie, les conflits familiaux…) ? Ou penser qu’un texte fabriqué selon toutes ces perspectives, avec peut-être, parfois d’ailleurs pour certains, l’idée que les jeunes gens ne pourraient accéder aux œuvres « tout public » s’impose ? Pourtant est-ce que les pièces de Michel Simonot, Delta Charlie Delta qui n’a pas été classée « jeunesse », ou un Batman dans la tête de David Léon, ne sont pas des œuvres offertes à n’importe quel auditoire alors qu’elles évoquent la vie de jeunes garçons ?
The Lulu Projekt de Magali Mougel témoigne de ces interrogations et les illustre. La pièce est en effet une commande pour des élèves d’un lycée de Montluçon, suivant l’option-théâtre au nombre de 26 filles et 2 garçons. Le personnage principal, Lulu, a 18 ans. Il vit quelque part en RDA, de « l’autre côté du mur ». C’est un grand ado qui vit sa vie comme il peut avec encore des rêves dans la tête malgré une existence terne auprès de sa mère, de sa sœur, dans une de ces tours sinistres plantées au milieu des champs de colza.
Heureusement, la nuit, tu rêves.
D’être une star du Punk.
Cosmanaute.
Mais Lulu est myope comme une taupe… La pièce construite en 14 épisodes (avec titres) retrace des moments de la vie de Lulu à travers quelques bribes de ses paroles, de ses dialogues ou les récits d’un chœur. Lulu est rejeté par le système scolaire et doit se contenter d’obéir aux adultes. Lulu a des embrouilles avec la polizei, avec sa mère qui lui préfère sa sœur ou Blumstein, son chef dans l’entreprise de paysagiste où il échoue. Il y a du personnage du souffre-douleur chez Lulu, le rêveur. Mais heureusement, Lulu a un ami, Moritz « son meilleur pote ». Ensemble, ils s’échappent de la grisaille ambiante de ce pays de pluie : ils boivent, ils chantent, écoutent une cassette de Marylin Manson. Le monde chavire poétiquement (p.28) :
vous renversez enfin l’état jaune du colza en pleine floraison.
Un ciel jaune comme ça, qui aurait pu le croire.
Et il y a surtout la fille, sortie de je ne sais où (épisode 9) qui le subjugue, qui incarne la beauté du monde. Neil Young chante pour eux deux. Et la fille lui donne un baiser ! Mais Moritz meurt du haut de la tour. Il faut fuir.
Il reste les arbres, il reste la liberté de quitter la maison : il faut rejoindre les étoiles. Lulu a accompli « son projet » : vivre « dans la neige avec des fleurs au milieu pour le printemps ».
Lulu répond à sa manière aux mots de Kurt Cubain What esle should I be ?
Un poème de Robert Walser :
Der Schnee fâllt nicht hinauf…
La pièce de Magali Mougel a fait l’objet de plusieurs lectures (3ème Bureau Grenoble ; La Mousson d’hiver, Volapûk). Elle a été créée en mai 2015, dans le cadre des Chantiers du Fracas.
On retrouvera une chronique antérieure (5 nov. 2013) consacrée à Suzy Storck.
Marie Du Crest
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