The Civil War : A Narrative, Shelby Foote (par Alain Faurieux)
Vol 1 : Fort Sumter to Perryville (1958)
Vol 2 : Fredericksburg to Meridian (1963)
La méthode Foote
Foote historien ou Foote écrivain ? Les deux sont indissociables. Mais Foote lui-même, débutant The civil War, se présente comme avant tout écrivain. Ses sources sont principalement les archives militaires – un corpus considérable de 128 volumes, la presse populaire, les archives familiales de grandes familles qu’il a pu contacter individuellement ; ainsi qu’une poignée d’ouvrages. Ce matériau est ensuite intégré au récit de Foote, désireux de ne voir aucune note ou bas de page rompre le flot.
« Accepting the historian’s standards without his paraphernalia, I have employed the novelist’s methods without his license » (Soumis aux normes de l’Historien sans son attirail, j’ai utilisé les méthodes du romancier sans sa liberté). C’est pour cela que la deuxième partie du titre de cette monumentale trilogie est essentielle, « La Guerre Civile : un récit ». Foote se refuse à analyser, systémiser, envisager. Il reste simple, basique : De Fort Sumter à Perryvile / de Fredericksburg à Meridian. Commandée après Shiloh, l’œuvre prendra plus de vingt ans de la vie de l’homme, le transformant dans les années ‘90 en historien spécialiste de la guerre civile.
Pourquoi lire la trilogie ?
Tout simplement parce que c’est un grand livre, une épopée monstre et un plaisir de lecture ; se plonger dans TCW c’est sentir l’odeur du passé, marcher parmi des figures depuis longtemps éteintes, survoler une nation dans la tourmente. L’auteur aussi est un homme du passé, admirateur de Flaubert et Balzac son écriture n’appartient pas à son époque (60’s ou 70’s), elle participe du même lexique, des mêmes images, du même rythme que les extraits de lettres, mémoires ou discours utilisés. Les portraits sont révélateurs : il est tout de suite clair à qui va la préférence de l’auteur. Comparons Lincoln :
« People hardly knew what to make of this tall, thin-chested, raw-boned man who spoke with the frontier in his voice, wore a stove-pipe hat as if to emphasize his six-foot four-inch height, and walked with a shambling western slouch, the big feet planted flat at every step, the big hands dangling from wrists that hung down out of the sleeves of his rusty tailcoat. Mr Lincoln, they called him, or Lincoln, never “Abe” as in the campaign literature. The seamed, leathery face was becoming familiar : the mole on the right cheek, the high narrow forehead with the unruly, coarse black shock of hair above it, barely grizzled : the pale gray eyes set deep in bruised sockets, the broad mouth somewhat quizzical with a protruding lower lip, the pointed chin behind its recent growth of scraggly beard, the wry neck – a clown face ; a sad face… »
et Jefferson Davis :
« … the man who stood before them, tall and slender, careworn and oracular, in a mote-shot nimbus of hazy noonday sunlight pouring down from the high windows of the hall (…) was fifty-four, and he looked it… The gray eyes, one lustrous, the other sightless, its stone gray pupil covered by a film, were deeply sunken above the jut of the high cheekbones, and the thin upper lip, indicative of an iron will and rigid self-control, was held so tightly against the teeth, even in repose, that you saw their shape behind it. The accustomed geniality was there, the inveterate grace and charm of manner, along with the rich music of the voice, but the symptoms of strain and overwork were all too obvious ».
Foote construit des phrases qui illustrent sa vision de l’histoire, non pas « tordues comme le raisonnement d’un serpent sudiste » comme ont pu l’écrire certains détracteurs ; mais indiquant par la ponctuation, les retours en arrière, les parallèles géographiques, les reprises lexicales (« ni un animal »… « ni un homme ») à quel point les prévisions, calculs et espoirs de ces hommes ont pu être submergés par d’imprévisibles détails. Car Foote nous propose ici un drame antique. Nous connaissons l’issue, il ne reste plus qu’à le laisser se déployer. Dès les premières pages on comprend que l’affrontement est inévitable : les opposants le sont par nature, ils n’ont rien en commun et l’incident de Fort Sumter est comparable à l’enlèvement des Sabines. Il nous montre des protagonistes en butte aux éléments, aux mensonges politiques (de l’autre camp mais du leur aussi), aux abandons, à la lâcheté humaine. Mais aussi dépassant leur condition humaine et accomplissant l’impossible. La construction choisie reflète cette vision : les phrases sont extrêmement longues, semblables à une coulée de lave qui peut bifurquer, ralentir, s’enfoncer pour mieux resurgir. Foote entasse les noms de villes, villages, hameaux, lieux-dits, entasse les heures, les troupes, les grades. Les victoires du jour sont porteuses des défaites de demain. Le déluge de plus de 5000 obus nordistes sur Fredericksburg lui donne l’occasion d’écrire qu’il s’agit là d’un « beau spectacle de guerre moderne », les héroïques troupes sudistes y restant imperméables et les civils… oubliés dans les caves. C’est là, nous dit-il, la « Deuxième Guerre d’Indépendance ».
Faut-il (encore) lire Foote ?
La force de Foote est également sa faiblesse : sa vision de l’Histoire reste étrangement sèche ; comme de trop haut. Les victimes (dont les décédés nous dit-il) sont comptabilisées à l’unité près, mais quid des civils ? Marches et contremarches, désertions et fusillades, mais rien sur l’insuffisance en hôpitaux, sur les mutilés et la souffrance. Davis est fier de voir « les hommes et les femmes de son Etat préféré porter des vêtements faits maison », mais l’auteur ne mentionne que peu les famines, les morts et les épidémies. Les troupes « irrégulières » sont mentionnées pour leur héroïsme et leur indiscipline, mais aucune mention de massacres. Plus encore que par ses livres, Foote (inconnu en France) s’est révélé au grand public américain lors des documentaires de Burns des années 90. Malheureusement il s’est également approché des idées du mouvement Lost Cause (flirtant avec le racisme au travers de l’image du « Vieux Sud » et de ses gentlemen) durant cette période, a pu déclarer être « Plus près d’un Noir du Sud que ne peut l’être James Baldwin », et même aller jusqu’à déplorer à la fin du siècle « la mainmise de certains groupes juifs sur l’édition Américaine ». Les « oublis » de Foote sont plus parlants encore : pour lui, le seul ajout fait par le Sud à sa constitution est de « remettre Dieu là où il doit être »… alors que l’ajout ESSENTIEL de cette constitution nouvelle est d’inscrire que « ne pourra JAMAIS être remis en cause le droit d’esclavagisme… justifié par l’infériorité naturelle des races noires ». Comme si éluder la question noire était un « point de détail de l’Histoire ». Le rôle des noirs dans la guerre civile a été fortement surévalué, a-t-il pu déclarer à l’écran. Toutes proportions gardées, ne pas lire Foote serait comme ne pas lire Homère sous prétexte qu’Ulysse n’est qu’un gros Macho (blanc) courant le guilledou tout autour du bassin Méditerranéen pendant que sa femme subit prétendants et pire encore (Le Département Littérature de Manchester University serait en train de sérieusement se poser la question). Le volume 3 me reste à lire…
Alain Faurieux
Alain Faurieux, fanatique de S.F. et adepte du polar. Maniaque de musique (genre « insupportable » pour ceux qui le fréquentent encore), anciennement enseignant d’anglais.
- Vu: 1838