Thanatose, Frédéric Bécourt (par Philippe Chauché)

Thanatose est un roman de l’immersion dans la vie et les pensées du narrateur, détaché, semble-t-il de tout, de ce qu’il a vécu, dont la mort passagère, de ce qu’il vit chaque jour avec sa mère et ses chiens, du souvenir de son père, le Patron, de ses escapades nocturnes sur Omniverse son métavers préféré, autrement dit, un monde virtuel, où armé de lunettes et d’un avatar, il navigue dans la ville, entre réalité et fiction, un peu comme dans un roman d’anticipation d’un autre âge. Et si ce monde familier, en un clic, devenait un refuge où se glissent les morts, si la vie après la mort passait par cet imaginaire virtuel ? Il va y croiser Alice, et cette apparition virtuelle va transformer le narrateur qui semblait imperméable au deuil, aux larmes et aux souvenirs. Vérité ou mensonge, c’est la question qui traverse le roman et le corps du narrateur.

« Je n’ai pas dormi de la nuit. Pas à cause du bruit de la rue, j’avais bien fermé la fenêtre cette fois, mais j’ai pensé à Alice ou plutôt à l’apparition fortuite de cet avatar qui lui ressemblait trop. J’ai retourné ça mille fois dans la tête, et dans tous les sens, rien n’en est sorti. Qui pourrait avoir l’idée de se faire passer pour elle dans le métavers ? ».

Frédéric Bécourt, dont nous avions salué son précédent livre, Un vent les pousse (1), nous offre ici un nouveau roman dépoussiéré de tout pathos et de toute moraline. Le romancier s’immerge dans un monde virtuel, et dans celui d’un personnage insaisissable, misanthrope, plus affuté pour soulever des altères que pour converser et lire, un monde d’aujourd’hui qui agacerait, s’il n’était pas décrit sans affect et sans le moindre jugement pour ses personnages et son narrateur. L’art du roman se mue parfois en celui du caméléon, il se glisse dans une autre peau, d’autres mots qui vous sont étrangers, non pour je ne sais quelle dénonciation moderne, mais pour vérifier que le style en épousant ses contraires se révèle comme une éblouissante fabrique romanesque. La force de l’écriture de Frédéric Bécourt tient aussi à la tension qu’il tisse de pages en pages, même tension que celle qui traverse le corps du narrateur, aux prises avec ses démons et ses fantômes.

Thanatose est un sismographe des temps d’aujourd’hui, qui révèle ses lubies, ses détestations, ses outrances, sans que jamais, et c’est heureux, l’auteur ne s’en désole ; il a mieux à faire : bâtir un roman pierre à pierre, et l’ouvrage achevé est éblouissant par sa force et le tremblement interne qui le traverse, comme un deuil incarné.

Philippe Chauché

(1) https://www.lacauselitteraire.fr/un-vent-les-pousse-frederic-becourt-par-philippe-chauche

Frédéric Bécourt est l’auteur de : Attrition (Aethalidès), et Un vent les pousse (Accro éditions).