Tétraméron, Les contes de Soledad, José Carlos Somoza
Tétraméron, Les contes de Soledad, février 2015, traduit de l’espagnol par Marianne Million, 256 pages, 21,50 €
Ecrivain(s): José Carlos Somoza Edition: Actes SudJosé Carlos Somoza sera à la Comédie du livre de Montpellier les 29, 30 et 31 mai 2015
Etrange voyage littéraire que celui dans lequel nous emporte José Carlos Somoza, sur les pas de la jeune Soledad (dont le nom signifie solitude en espagnol) ! Soledad est un peu la cousine littéraire d’une certaine Alice, ce que suggère d’ailleurs l’illustration de couverture où une jeune fille passe par l’ouverture d’une page dans un livre ouvert, de l’autre côté du miroir que nous font les mots et les récits, les romans et les contes. Cousine encore plus proche peut-être d’Ofelia, l’héroïne du Labyrinthe de Pan, le beau et étrange film de Guillermo de Toro.
Partie avec la classe de son collège pour une excursion et la visite d’un ermitage, mais au milieu des collégiennes, avec leur veste d’uniforme au blason du collège et l’escorte des sœurs, Soledad est prise par un étrange sentiment, celui de ne pas exister, de n’être qu’un fantôme. Son existence physique, sa visibilité pour les autres lui semble tout d’un coup aussi évanescente que celle d’un personnage de fiction, de conte ou de roman jamais lu ou refermé et presque oublié, pourrait-on dire. A tel point qu’elle disparaît des comptages pourtant scrupuleux des sœurs…
Un oubli qui est comme le passeport de sa disparition pour un lieu dérobé et secret, secret comme un coffre de bois précieux à la serrure ouvragée Un escalier, puis une porte… faite pour cacher l’inconnu, le mystère, peut-être… Derrière la porte, quatre étranges personnages, qui l’accueillent entre hostilité et hospitalité, parce que c’est, dit l’un d’entre eux, la tradition. Quelle tradition ? Celle des contes qu’ils échangent, qu’ils se racontent autour d’une table dans cet endroit si secret. Deux contes chacun. Des contes qui peuvent être pervers ou cruels, mais qui sont surtout énigmatiques, ne livrant pas de clés ou de moralités transparentes. Des contes que va devoir écouter Soledad et qui la dépouilleront petit à petit d’elle-même, jusqu’à se révéler eux-mêmes.
Lecteurs, nous nous retrouvons plus ou moins comme Soledad, dans la solitude de notre lecture, face à ses récits qui semblent chercher à nous hypnotiser, à nous séduire pour nous perdre. L’on pourrait être tenté de chercher à les interpréter, fort des outils d’analyse d’adulte que nous ont donnés Propp (Morphologie du conte) ou Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées), mais l’intuition nous souffle que l’exercice risque fort de se révéler stérile, trop hasardeux. C’est dans le silence de l’écoute, dans les rêveries qu’ils déclenchent pour chacun que réside le cœur des contes, ces mensonges qui disent, peut-être, la vérité.
José Carlos Somoza sait magnifiquement, ou plutôt magiquement et énigmatiquement jouer des variations et des incertitudes, de l’onirisme et du réalisme pour nous entraîner dans le monde de Soledad (solitude !) pour nous enrichir sans chercher à nous éduquer ou nous faire la leçon. Un livre qui peut troubler et laisser perplexe, interrogatif, mais qui ne devrait pas laisser indifférent. Un livre d’histoire et de récits enchâssés dans d’autres histoires et récits, à la façon des grands cycles de contes avec une tonalité noire, ou grise, qui touche, s’aventure sur les chemins de traverse de l’humain, dans des venelles étroites où la lumière se fait rare, d’où les bonnes fées sont irrémédiablement absentes.
Le monde de José Carlos Somoza relève d’un certain baroque paradoxal, froid, passablement austère et vaguement inquiétant.
Marc Ossorguine
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