TEMPUS FUGIT / TEMPUS SURGIT, Par Eric Poindron
Pour Marc Alyn, Rémois, Voyant, Phrère Nyctalope
& Pierre Michon, Vivant Minuscule
« S’il faut que l’esprit se dérange absolument pour nous mettre en communication avec un autre monde, il est clair que jamais les fous ne pourront prouver aux sages qu’ils sont au moins des aveugles. »
Gérard de Nerval à son ami Victor Loubens.
Le rendez-vous était pris / A la société plus discrète que secrète dite du « ténébreux mélancolique » /A l’angle mort de la tour Saint-Jacques
La nuit semblait faire des bonds de chats / des constellations grimaçantes / des cabrioles d’infortune
A l’image de ce fantôme en habit qui, la porte sourde une fois entrebâillée salua avec assurance l’incrédule le nouvel égaré avant de déclarer :
*
"Mon ami, sous quel forme dois-je me présenter à vous afin de vous être désagréable ?"
Il faudrait des tours de Saint Jacques / de passe-passe & de poètes / Il faudrait écouter les vents gothiques et chancelants qui se font rumeurs et déclament encore les vers et les déraisons du déshérité / qui se pendit presque à son pied
Il faudrait des balises pour qui fréquent les endroits sombres, les moules de Bruges & les soupes à l’oignon des halles /
Il faudrait, L’amour fou en bandoulière, relire Breton lorsqu’il se prend pour un poète.
« Et j’entends revenir mes pas / Le long des sentiers que personne /N’a parcourus j’entends mes pas / À toute heure ils passent là-bas / Lents ou pressés ils vont ou viennent »
Car il faut toujours Apollinaire
Loin des ponts et fi coule la Seine /Des rumeurs de cathédrales / En échos limonaires / Et des mélancolies de brume taquine / Les échos des traces chahutent la mémoire /Et les rires anciens fredonnent comme chanson ami
L'enfance miséricorde frissonne à reculons / Vole au vent et farandole au long cours / Au coeur des lunes aux parfums de collines
Les poètes y agitent des lanternes / La mémoire pérégrine au lointain
Un ombre mélancolique rallume les pétales des baisers /Un poète peut en cacher un autre / Marc Alyn y chemine
Oui, Il faudrait les pas secrets et les plans de Marc Alyn le gardien et l’acolyte : « Le carré magique où repose la cendre incandescente de Nicolas Flamel, entre la tour Saint-Jacques et la rue de la Vieille-lanterne, occupe la partie médiane d’un labyrinthe au cœur d’un verger initiatique. »
Il faudrait ne rien s’interdire, avec pour seul mot d’ordre : Si la magie est toujours à proscrire dans un récit logique, alors bannissons la logique dans une histoire fantastique !
« Les bouges crapuleux », comme aimait à les appeler Apollinaire, ont peut-être disparu, mais nous, nous sommes vivants pour nous en souvenir et passer les relais. Les gueux & les pérégrins, Les Seignolle & les Hardellet. Claude Le Seignolle, Claude Le sorcier qui partout écrit mélancolique à l’encre nuit et à la craie sympathie : «« Mais pour nous, poètes, est-il une limite, visible entre le vrai et l’imaginaire et ne souffrons-nous pas de nos rêves comme s’ils étaient réalité ? »
Paris a ses humeurs, tu sais. Les rues se vident des Parisiens mais se remplissent de fantômes, et la Ville – pâle - lumière est claire obscure pour qui sait regarder. »
Il faudrait se souvenir que la Tour Saint-Jacques raconte toute l’histoire de Paris, ou presque.
*
Des Gérard de Nerval presque pendus, vous disais-je. Une grille comme un soupir /un soir de janvier et de grand froid
Comme le cerf-volant de Benjamin Franklin / Comme le chapeau du poète en son gibet
À la recherche de l’ombre de son maître / Flottant et facétieux
*
« Les fantômes disparurent en jetant des cris plaintifs. »
Deuxième rêve des Nuits d’octobre
*
Nous pourrions aussi écrire que lorsque les fantômes des poètes sont astucieux, et Dieu sait s’ils le sont, ils se cachent en pleine lumière.
Nous pourrions aussi prétendre que les fantômes des poètes n’ont qu’une seule histoire à raconter, c’est pourquoi ils la racontent toujours une plume nouvelle et un masque renouvelé
*
— Mon cher Gérard, je peux vous appeler Gérard ?
Vous lisez trop / Vous écrivez trop / Vous voyagez mal / Vous nourrissez votre esprit de vieilles chansons /et de croyances bizarres
Et Nerval /car c’était lui / de répondre
« Il y avait de quoi là faire un poète et je ne suis qu’un rêveur de prose. »
Ténébreux Inconsolé Fou peut-être
À la recherche de L’étoile morte
Le poète n’a cessé De voyager Dans les nuits Constellées
Blanches et noirs
Pour Vérifier Ses rêves
*
Peut-être que tout comme nous, frère & lecteur, vous vouez une véritable passion à Gérard de Nerval ?
Savez-vous que dans la nuit du 1er octobre 1838 Alors qu’il revenait d’un voyage en Allemagne Avec Alexandre Dumas – et son Ida Ferrier
Le poète s’arrête à Troyes quittant la voiture sans la moindre explication
Nerval s’enfonce dans la « nuit profonde » comme il l’a écrit Dans Les Nuits d’octobre justement
« Des corridors, – des corridors sans fin ! Des escaliers, – des escaliers où l’on monte, où l’on descend, où l’on remonte, et dont le bas trempe toujours dans une eau noire agitée par des roues, sous d’immenses arches de pont… à travers des charpentes inextricables ! Monter, descendre, ou parcourir les corridors, et cela, pendant plusieurs éternités… Serait-ce la peine à laquelle je serais condamné pour mes fautes ? »
Nerval ne donnera jamais la moindre explication
Les biographes font le dos rond
Que cherche-t-il à Troyes, terre de templiers
Est-il sur les traces de Rachi, le talmudiste médiéval
A-t’il un rendez-vous secret dans la ruelle aux Chats ?
Nous connaissons la fascination de Nerval pour les sciences secrètes /Et occultes
Pourtant aucun biographe officiel n’a mentionné cette disparition
Durant plusieurs jours Nerval n’existe plus.
Alors voilà pourquoi nous existons.
Le chercheur est un homme de raison
Le poète un homme de terrain et d’intuition / Et peut-être doué d’une incurable fantaisie
Il ne fouille pas dans les archives certes / il est là pour traquer la chimère / réhabiliter l’imagination / Donner chapitre à la voix / Et voix à la vision
Qui cherche l’onguent / Le baume ou la clé des Orients
Pour enchanter aussi / Appelons cela les coulisses du possible
Même inexacte l’excentricité de notre famélique poète avait bien fière allure / À l’allure de ce jour ordinaire ou moins / Où l’on vit /Dit-on / Dans les jardins du Palais-Royal
Gérard de Nerval, le nyctalope et le voyant
Traînant un homard vivant au bout d’un bleu ruban
L’histoire insolite circula dans Paris et / Comme les uns les autres et les amis s’étonnaient
L’auteur de El Desdichado répondit :
« En quoi, un homard est-il plus ridicule qu’un chien, qu’un chat, qu’une gazelle, qu’un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre ? J’ai le goût des homards, qui sont tranquilles, sérieux, savent les secrets de la mer, n’aboient pas. »
Et comme l’écrivait Gérard de Nerval : « Et puis qu’est-ce que cela prouve ? – comme disait Denis Diderot. »
*
Ah, le joli mot voyageur / VOYAGEUR / Qui est à lui seul / Un voyage / Et un poème
Ah ce brave et confrère / Gérard Nerval /Illuminé & scribe parmi « Les Illuminés »
Lanterne flamboyante et sourde malgré la nuit blanche et noire /À la jolie Manière de Cyrano de la Lune
Qui sait mieux que personne /Que pour trouver le juste chemin /Il suffit d’emprunter celui / Des nuages
Tempus fugit Tempus surgit
« Dédale et son fils, après avoir bâti le labyrinthe, s’ennuyèrent dans l’île de Crète, dont le roi voulait les retenir, et, se voyant séparés par la mer de la Sicile, leur pays natal, se dirent : « La terre et les ondes s’opposent à notre passage… mais le ciel est ouvert : nous irons par
ce chemin ! » Est-ce bien là l’origine véritable de l’aérostation ? » *
Et c’est peut-être pourquoi / Le poète chancelant et enténébré / Vit en un petit bout de corde / L’échelle fragile qui le mènerait
Là-bas tout Là-Haut
À l’instant où l’on vérifie
Ses derniers rêves
… … …
Entre la vie réelle et ce que nous nommons /le « merveilleux » / Ou l’« effroyable »
Il existe une frontière imperceptible / Approchez-vous et /Vous entendrez que cette frontière est un chuchotement.
Une confidence.
Quand je levai les yeux, la nuit était partout. La tour gothique et insolite était un phare au cœur de la ville. Je n’étais plus à Paris. Je sentais les embruns citadins de la Bièvre enfuie, les échos du large, j’étais au milieu du lac souterrain et cacophonique, je me chahutais sur la Montagne Sainte-Geneviève, à la recherche d’autres traces, dans les pas d’autres poètes. D’autres fantômes.
C’est l’âme de votre prédécesseur qui revient !
– L’avez-vous vu ?
– Non ! mais des fantômes, cela ne se voit pas à la chandelle.
*
Gérard – Labrunie – de Nerval / le frère de toutes les déveines / Me fait songer à un Peter Pan ordalique & jongleur & famélique
Debout sur un banc d’enfant / À l’instant de se passer la corde autour du cou, / le poète trébuche et ses pieds touchent le sol
Alors, muni d’un arrosoir, Il se sert de la main du coeur
Pour faire pousser l’arbrisseau /Qui lui servira de gibet
Voyage autour au bout de ma chanvre
† 26 janvier 1855
Rue de la Vieille Lanterne
Moins 18° ou 19° C, selon les biographes
∆ « ˙sǝʌêɹ sǝɯ ɹǝıɟıɹéʌ ɹnod ıɐǝƃɐʎoʌ ǝɾ » Ω
* Gérard de Nerval, Introduction à Les Ballons, de Julien Turgan, Plon frères éditeurs, 1851.
D’après, d’après, COMME UN BAL DE FANTÔMES, éd. Le castor astral, collection « Curiosa & cætera »
Eric Poindron
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