Temps, Wajdi Mouawad
Temps, mars 2012, Edition Actes Sud-Papier/ Léméac, 64 p. 12 €
Ecrivain(s): Wajdi Mouawad Edition: Actes SudPièce jouée à partir du 8 mars jusqu’au 30 mai dans différentes villes en France, au Québec et au Canada.
Ce texte est le support d’une œuvre qui va être jouée à partir du mois de mars au Québec et en France. On retrouve dans Temps de Wajdi Mouawad ses thèmes de prédilection : la guerre, les rapports incestueux, le travail de la mémoire et la difficulté à surmonter une souffrance originelle.
Wajdi Mouawad, cependant, ne veut pas s’enfermer dans la répétition, voire l’obsession : « J’avais, après la création des spectacles qui composent Le Sang des Promesses, l’envie de déplacer, d’inquiéter l’instant de l’écriture ». Il va donc prendre le contre-pied de ses habitudes de travail en favorisant l’improvisation au lieu d’une documentation fouillée, des répétitions courtes, mais non précipitées et un budget minimal. Ce texte est écrit par l’aiguillon de l’inquiétude au sens où Leibnitz affirmait que c’est grâce à lui que l’homme avance et se découvre : « J’avais, de manière obsessive, l’envie que l’inquiétude ne soit plus un état à gérer mais qu’elle devienne la source de mes intuitions » affirme Wajdi Mouawad. Il fait partie de ces écrivains qui ne s’installent pas dans des faux-fuyants mais qui continument interrogent l’origine et le monde. « L’inquiétude peut être une boussole ».
Dans ce texte, il y a comme une sérénité inquiétante. Le lecteur sait que le père incestueux sera abattu. Mais cela permettra-t-il à chacun de retourner vers soi et vers la vie ? L’ordre du monde a été dérangé, peut-il revenir à partir d’un meurtre ? La mère s’est suicidée dans la forêt de sel lorsqu’elle a compris et « ressenti » l’acte irréparable de son mari. Elle n’a pas voulu être contaminée. Depuis, les rats envahissent régulièrement la ville. « Mais nous avons la force quand ils n’ont que l’instinct et ce jeu de miroir nous rend abjects ; nous voilà devenus les rats des rats les barbares les rongeurs ».
Ce texte tranquille en apparence ne parle pas seulement d’une histoire de famille, il rappelle qu’entre le battement de la mémoire et de l’oubli il y a l’agir. « S’il est vrai que le fil du désastre ne peut plus se casser, il peut encore nous conduire vers le monstre qui le détient. Les labyrinthes, il ne suffit plus de rentrer dedans. Il faut les dynamiter ». Noella de la Forge, la victime de l’inceste, a en partie perdu sa voix. Elle a besoin d’une traductrice : Mérédith-Rose. La parole de Noella est hachée, comme si elle avait été entaillée de l’intérieur. « Mon père a fait entrer un scorpion dans mon ventre et je l’ai vu y prendre un très grand plaisir. Plus que son viol c’est de le voir complice de l’infect insecte qui m’a anéantie ». Travail difficile d’un récit haché, alors que le père lui-même quasi mourant est atteint de la maladie d’Alzheimer, et que les frères qui ont été sauvés et séparés ne savent rien de cette vérité lointaine. L’un est militaire et a été en Afghanistan, l’autre a vécu en Russie et parle une autre langue. C’est donc un étrange dialogue qui s’instaure entre les protagonistes (langue russe, langue des sourds et muets du Québec, traducteur). Il faut revenir à des lieux ancestraux pour à la fois sauver la ville et se réconcilier avec la nature et l’homme.
Dans les textes de Wajdi Mouawad, il y a toujours beaucoup de souffrances, cela semble faire partie de la condition humaine : « J’aimerais pouvoir ne plus obéir au chagrin. J’aimerais arriver à dire ce que je devrais dire au lieu de dire ce que je sens. Je ne sais plus qui a le plus souffert ». Mais on y trouve aussi un véritable amour de l’humanité dans lequel on peut ramasser l’espoir. « Toujours l’amour longe l’abîme. Tu ne le sais pas. Je ne veux pas que tu tombes ».
Allez voir la pièce de théâtre, on sort rarement indemne des spectacles de Wajdi Mouawad, mais quelle respiration on y trouve !
Zoé Tisset
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