Temps du rêve, Henry Bauchau
Temps du rêve, Actes Sud, Un endroit où aller, 71 p. 13 €
Ecrivain(s): Henry Bauchau Edition: Actes Sud
Le passage, du temps de l’enfance à l’adolescence, du temps de l’amour parental et des rêves d’enfant, à ce basculement que représente le premier amour, et les rêves plus flous qui l’accompagnent : « Il me semble que tout ce qui m’amusait jadis ne m’est plus d’aucun prix. Je suis précipité dans le rêve et la solitude, d’un seul coup » (p.44). Rien de plus classique, mais ici l’échange prend place, et c’est aussi ce qu’il a de particulier, en quelques heures, quelques heures qui irradient toute une existence, par ce rapprochement dans le temps, du jeu et de l’amour :« Nous n’avons joué ensemble qu’une seule fois, mais d’une façon qui m’a illuminé et elle aussi » (préface).
Henry Bauchau revit, après la perte d’un grand amour, cet après-midi d’été qui a ouvert sa vie à cet appel d’air : lui a onze ans, elle, huit, cet âge où comme il l’écrit, le « genre » de la petite fille est encore indéterminé : « (…) de suite un peu brutale comme elles le sont souvent à cet âge où elles possèdent, sans pouvoir s’équilibrer, les forces garçonnières » (p. 26). Un « petit diable », un garçon manqué, un lutin, une fée ? En tout cas une initiatrice. En ces quelques heures, une porte s’ouvre, qui ne se refermera plus. Le monde apparaît clivé, dans une sorte de deuxième naissance : le cœur s’éprouve battre :
« Est-ce bien le mien ce cœur brûlant de son poids trop lourd, et inconnu ? Est-ce bien à moi que se révèle soudain le spectacle d’un monde nouveau tout coloré d’une absence ? » (p.44).
C’est aussi, comme la naissance, une séparation. Jean Remoire, pseudonyme adopté par Henry Bauchau pour écrire ce premier livre, revient sur celui qu’il était. Il narre d’une écriture à la fois poétique et précise, retenue et évocatrice, cette métamorphose, cet éveil. Que se passe-t-il ? Trois fois rien, et tout est dit, et tout est différent. Henry Bauchau, vieux monsieur rouvrant ses tiroirs où ce petit opus sommeillait après une publication confidentielle dans ses jeunes années, y retrouve son âme intacte :
« Il est bien sûr que je n’écrirais plus ainsi maintenant. Mon écriture, par force, est devenue plus minimaliste. Mais est-ce seulement l’effet de l’âge qui m’a fait écrire mon dernier livre, “L’enfant rieur”, en le dictant, ma main ne pouvant plus écrire ? C’est un fait de l’âge, c’est aussi le signe que nous n’écrivons que ce que le monde, dans son évolution, nous permet de dire » (préface).
Au fur et à mesure que se referment les cercles de la vie comme les bulles vénéneuse de l’étang :
« Il n’y a plus rien, que la bulle girante – on dirait le doigt nacré d’une main faiblement agitée dans un geste d’appel – et les voiles de vase qui viennent crever régulièrement à la surface, nous jetant au visage leurs profonds relents de pourriture et de mort » (p.35).
En le reprenant, Henry Bauchau ne dit pas s’il y a fait des retouches, sans doute non, mémoire et souvenir s’entrechoquent, s’entreregardent naître. Evoluer en se restreignant, belle définition de l’âge, mais ne semble-t-il pas penser que les cercles concentriques faits par les ricochets atteignent souvent l’autre rive, avant de s’éteindre ?
Anne Morin
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