Identification

Telluries, Alhama Garcia (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 27.11.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Telluries, Alhama Garcia, Ed. du tanka francophone

Telluries, Alhama Garcia (par Patryck Froissart)

 

Le tanka est une forme poétique lyrique japonaise classique de 31 syllabes sur l'ensemble d'un tercet et d'un diptyque, avec alternance 5-7-5 7-7.

Le tanka est donc construit en deux parties, la seconde venant conforter la première. Un tanka soucieux du respect des règles originelles doit marquer une légère pause entre les deux et ne traiter que d'un seul sujet à la fois. Il peut questionner mais ne donne aucune réponse. Le tanka est basé sur l'observation, non sur la réflexion. Il doit être un ressenti sincère et vécu, non imaginé. La première partie est traditionnellement un tercet de 17 syllabes de structure 5-7-5 (devenu plus tard haïku), et la deuxième un distique de 14 syllabes de structure 7-7. Il arrive cependant que la première partie soit le distique et la deuxième le tercet.

La première montre une image naturelle, tandis que la seconde peut éventuellement exprimer des sentiments humains ressentis, liés au sujet précédent, sans que cela soit une règle absolue. La pratique du tanka était réservée à la Cour impériale, et toute personne de rang inférieur surprise en train de pratiquer le tanka était condamnée à mort. Cela explique le succès populaire du haïku, beaucoup moins strict.

L'apparente simplicité des thèmes observés donne au tanka toute sa légèreté et son caractère universel. Contrairement au haiku, le tanka est une forme chantée.

Ce langage poétique s’appuie sur les mots et les associations d’idées qu’ils déclenchent.

La pratique du tanka régulier français a été officialisée par l'École Internationale du Tanka fondée en 1957 par Mme Jehanne Grandjean, membre de la Société des Gens des Lettres de France, et sous le contrôle du Maître Nobutsuna SASAKI, Membre de l'Académie Impériale Japonaise, Président d'Honneur de l'Ecole Internationale du Tanka.

(Sources: Wikipedia)

Alhama Garcia maîtrise remarquablement ce genre poétique singulier. Il livre ici à la curiosité des lecteurs profanes et aux amateurs initiés du tanka ses propres textes, chacun d'entre eux étant suivi d'un équivalent libre en anglais.

Les 99 tankas de ce recueil sont répartis en 5 ensembles numérotés comme des chapitres, de longueur inégale, dont le lecteur perçoit rapidement, pour chacun d'entre eux, intuitivement ou par une simple observation des champs lexicaux, l'unité et la cohérence thématiques, dont le titre du recueil, Telluries, est l'absolue synthèse.

Le premier ensemble invite le lecteur à un voyage contemplatif sur cette ligne littorale d'où ses regards peuvent se porter simultanément ou alternativement sur les vastes espaces liquides horizontaux et sur les reliefs variés qui bordent les côtes. Lors de ce va-et-vient du mouvant à l'immobile, du liquide au rocheux, du constant au changeant, le poète alterne surprenantes assimilations et contrastes inattendus.

Partageons :

Ici rien ne lasse

sur ton échelle marine

l'ange oublie vois

déployer derrière toi

la colline réécrite



Le second, à partir de l'image initiale d'un chêne mort, associe le végétal, l'eau, la terre, le ciel, la lumière et l'air, ou plutôt l'aérien, ce domaine des oiseaux et des insectes ailés. Nous voilà plongés dans le monde complexe de la forêt, où la vie et la mort incessamment s'entremêlent, où la puissance des troncs centenaires côtoie la délicatesse des toiles d'araignées, où la lumière des clairières succède à l'ombre des frondaisons, où le mouvement et la caducité des feuilles, ainsi que la fugacité et l'éphémère de la gent ailée, s'opposent à l'immuabilité des fûts et des sols où ils s'enracinent.

Savourons :

Sous le chêne mort

un rideau perlé de gouttes

trempe le talus

l'ornière est pleine et frissonne

lumière peau délicate

 

Le troisième chante l'avènement, l'approche du printemps, les signes du renouveau, de la renaissance, les promesses du futur, les prémices délicates, que le regard du poète promeneur saisit dans la moindre particule élémentaire des prés, des bois, des champs et des jardins pour en dresser une riche palette de couleurs, d'odeurs, de subtiles sensations.

 

Goûtons :

 

Sous la pluie froide

seul le jardinier léger

devine il attend

le bouton vert est fruit jaune

et l'odeur monte à sa bouche

 

En quatrième partie est offerte au lecteur une ode à l'oiseau, une ronde de tankas où apparaissent tour à tour, évidemment volatiles, forcément volages, fugaces, transitoires, le pipit, la mésange, le rouge-gorge, la perdrix, le rapace, le ramier, la chouette... et le poète, qui y a soit le statut de l'observateur, soit celui de l'observé.

 

Admirons :

 

Qui suis-je pour rouge

gorge curieux promesse

obstacle menace

un œil liquide me cercle

d'un rond réticule étroit

 

 

Le dernier florilège est une savante mise en miroir du monde des insectes et de celui des hommes, qui aboutit, par un subtil transfert, à une pathétique représentation de la destinée humaine, d'où se dégage puissamment l'angoisse du poète face à la promptitude de notre passage sur terre, à l'inconsistance des traces que nous y laissons, à la précarité des édifices que nous y élevons, à la négation posthume de notre être, et, le comble pour le trouvère, à l'effacement et à l'oubli de son œuvre poétique.

 

Ruminons :

 

De leurs œuvres

quelque vivant peut-être

d'eux ne saura rien

il reste un texte de pierres

leur silence est ma terreur

 

Et puisque chaque quintil est accompagné de son reflet en anglais, offrons-nous celui-ci en guise de dessert :

 

For a long time I tied up

my hands and sewed my tongue

and lips and this torture

didn't me teach me anything

here I unpick all over I'm walking

 

Il est ainsi de petits livres constellés de pierres précieuses...

 

Patryck Froissart

 

Alhama Garcia est né en Espagne en 1944.

Sa famille s'installe en France en 1952.

Après ses études universitaires, à l'initiative d'Aragon, il participe aux Lettres Françaises à partir de 1970.

Il publie La Saison des Cendres en 1973 aux Editeurs Français Réunis et collabore à la revue Action Poétique jusqu'en 1975.

Depuis 1975, il vit dans le Massif des Maures.

Il a enseigné l'histoire et la géographie jusqu'en 2005.

 

A noter : on trouvera toutes informations utiles sur le tanka dans la Revue du tanka francophone.

  • Vu : 1010

Réseaux Sociaux

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart


Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

Membre de la SGDL

Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :

-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)