Tassadit, la petite potière et Tassadit, la petite bijoutière, Sadia Tabti
Ecrivain(s): Sadia Tabti
Tassadit, la petite potière, Sadia Tabti, éditions Dalimen, Collection Les Carnets de l’ArtMémoire, Alger, 2013, 42 pages
Tassadit, la petite bijoutière, Sadia Tabti, éditions Dalimen, Collection Les Carnets de l’ArtMémoire, Alger, 2014, 64 pages
Deux contes des temps modernes…
Tassadit, la petite potière, et Tassadit, la petite bijoutière sont deux récits, courts, en prose et illustrés, que l’on pourrait aisément ranger dans le registre des « contes ». Imaginés, écrits, illustrés par Sadia Tabti et publiés par les éditions Dalimen, dans la collection Les Carnets de l’Artmémoire, ces contes « des temps modernes » situent l’action des protagonistes, la petite Tassadit et les personnages qui gravitent autour d’elle, dans une double temporalité : à la fois au présent et au passé. Le recours à ce dernier est élaboré par le truchement de la mémoire et de l’Histoire.
Le cadre spatial met en évidence deux espaces. Le début de l’action ouvre sur la zone urbaine, dans le quartier populaire de la vieille ville, la Casbah. Puis, les lecteurs/trices sont propulsé-e-s au cœur du monde rural, dans la région de Kabylie.
Le schéma narratif met en scène des récits structurés en différentes étapes. Tout au long de ces épreuves, une petite fille, nommée Tassadit (la bienheureuse), dotée de qualités qui la rendent exceptionnelle et attachante, invite les lecteurs/trices à la suivre dans ses périples initiatiques, parsemés de mystères et de magie. Son objectif ? Les initier aux savoir-faire artisanaux ancestraux relatifs à la poterie et à l’orfèvrerie.
Dans le premier conte, Tassadit endosse le rôle de potière. Alors qu’elle se trouve dans la maison de son amie Chabha qui vit en Kabylie, elle est initiée par la mère de celle-ci à l’apprentissage de la poterie. Mais voici qu’un événement vient perturber le cours de l’action. Par mégarde, Tassadit casse une cruche. Cet événement va nous entraîner dans un monde fantastique : une clé qui parle. Une porte usée qui ouvre sur un merveilleux jardin où poussent des fleurs et où se promènent des animaux de toutes sortes. La rencontre avec un personnage mystérieux : Na Zahoua, la « Terre Mère » qui s’incarne dans la cruche que Tassadit est en train de confectionner pour remplacer celle qu’elle a cassée par inadvertance.
Ainsi, pendant tout le processus de fabrication, la voix de Na Zahoua va la guider et lui transmettre le savoir-faire de cet art dont l’invention remonte à la préhistoire. C’est ainsi que les lecteurs/trices assistent au processus de fabrication d’une cruche qui se décline en plusieurs phases : ramassage d’argile, façonnage, séchage, décoration, cuisson sans oublier le rituel que les femmes organisent après la cuisson en organisant un moment convivial autour d’un grand repas.
Dans le second livre, Tassadit introduit les lecteurs/trices au cœur des mystères des Ciseleurs d’Argent du Djurdjaura. A l’origine de son périple vers les montagnes de cette région de kabylie où existe un mystère à élucider, un rêve. Dans son sommeil, Tassadit voit une femme vêtue d’un burnous rouge. Celle-ci lui confie une mission. C’est alors que commence le voyage vers l’univers de l’orfèvrerie.
Un tracé qui indique un parcours. Un livre trouvé dans la terre. Un titre, « Le Mystère des Ciseleurs d’Argent », qui éveille la curiosité et incite à la connaissance. Des commandements qui montrent la voie. Une pièce d’argent se détache d’un arbre qui possède le pouvoir de décaler la pierre qui nous fait découvrir la cavité du mégalithe renfermant « le trésor secret des femmes du Djurdjura ». Dans ce lieu, vit un personnage-animal qui a le pouvoir de la parole : Azrem (le serpent). Celui-ci a été investi par les ciseleurs d’argent d’une mission. Les lecteurs/trices seront également initié-e-s à l’histoire de Fatma N’soummer, à la conquête de la Kabylie par la France et à la spoliation des biens et des manuscrits religieux et scientifiques par l’armée française.
Et au cœur de tout ce monde imprégné de magie et de ses effets haletants et éblouissants, les lecteurs/trices sont initié-e-s au processus de fabrication des bijoux en argent, incrustés d’émaux et de pièces ciselées qui font la spécificité de cette région d’Algérie.
Ces deux histoires qui, par moments, prennent l’allure de contes fantastiques, offrent une lecture divertissante et instructive. Destinés à un large public, à la fois aux grands et aux petits, ces récits ont la fonction de contribuer à maintenir « le maillon de la chaîne » et à revivifier la culture ancestrale et ses savoir-faire artisanaux qui ont tendance à se raréfier voire à disparaître.
L’attachement de l’auteure à la culture ancestrale de l’Afrique du Nord, et de l’Algérie, en particulier, s’explique par « le lien viscéral qu’elle entretient avec la culture de son père Mohand », d’une part. Et d’autre part, par sa volonté de « perpétuer certaines traditions de l’art Amazigh ». Ainsi, son objectif a une double visée. Il est à la fois ludique et didactique. Car en plus de divertir, ces histoires ont la fonction de « donner un souffle nouveau aux contes où l’art tutoie l’histoire » en mettant à la disposition des petits et des grands des « outils pédagogiques pour la transmission du savoir-faire des artisans qui symbolisent notre identité », affirme Sadia Tabti qui ambitionne le projet de porter ces deux contes sur la scène théâtrale. Tassadit la petite potière sera joué par la comédienne Nesrine Aïtout. Quant au conte de la petite bijoutière, Sadia Tabti a le projet de le narrer sous forme de spectacle avec des enfants. « Celui-ci sera suivi d’un débat et d’un atelier Art-Postal qui sera le reflet de ce conte. Ainsi, l’enfant retranscrira ce conte en réalisant des petites œuvres ». Les deux prochains spectacles-animations auront lieu à l’Association Culturelle Berbère.
Extraits :
Tassadit, la petite potière, p.16
« Elle entendit :
– Psitt… psitt.
Qui pouvait bien l’interpeller ? Elle regarda derrière la porte, puis sous un coffre berbère et ne trouva rien.
– Psitt… psitt.
– Bonjour Tassadit.
Elle regarda dans le sens de la fenêtre. Toujours rien. Elle réalisa enfin que la voix venait de derrière une poutre en bois.
Interloquée, elle regarda la clé.
– Approche-toi, c’est moi… la clé… »
Tassadit, la petite bijoutière, p.54
« Elle vit la mariée, parée de bijoux. Elle remarqua qu’elle avait un magnifique diadème (taasavt), symbole d’alliance entre les tribus (ârch).
Toutes les odeurs de couscous, de gâteaux et de thé à la menthe se propageaient dans ce village de pierres.
Tout en scandant des mains, les femmes faisaient tinter leur bracelet d’argent (Eddah) et lançaient de temps à autre des youyous.
Le soir venu, elles décidèrent de rentrer. Sur le chemin du retour, elles entendirent au loin le chant poétique des femmes qui résonnait dans les montagnes du Djurdjura … ».
Nadia Agsous
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