Sur les chemins de non-retour, Jean-Pierre Otte (par Didier Ayres)
Sur les chemins de non-retour, Jean-Pierre Otte, éd. De Corlevour, mai 2022, 128 pages, 16 €
Déjà essayé. Déjà échoué.
Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux.
Samuel Beckett
Limite du temps, temps limité
J’ai trouvé dans le recueil de poésie de Jean-Pierre Otte un questionnement continu sur la lucidité avec laquelle l’on peut considérer l’existence, la sagesse de vieillir – âge où l’interrogation sur le temps peut se concevoir. Donc, une réflexion constante sur le temps concret de vivre, avec une maturité qui englobe à la fois l’âge et le désir. Et cette philosophie, du genre sceptique, se rapproche, je crois, de celle de Cioran. Scepticisme radical. Ellipses, effacement de soi au profit d’un autre soi, celui qui observe, dans une partition de l’être. Le temps limité de la vie et les limites de la vie, comme pris dans une seule question : que devenons-nous ?
Dans ce ressac de dégoût et de détestation,
la voix intérieure, elle-même mal informée,
vous tire du cachot clair de la conscience,
des conjectures confuses, des présages abscons,
des pronostics propres à égarer la conduite.
Mais l’égarement, n’est-ce pas ce qui nous reste ?
L’on flotte avec le poète dans une sorte de continent gazeux, qui prend légèrement à la gorge par la tristesse de déchoir – air vague et cependant d’une grande précision car jouant sur le langage poétique, ensemble pour désigner et évoquer. L’on y voit la pulsion qui agit dans le sujet, qui pousse vers le réel de l’âge tout en ravissant le lecteur, le convoquant à ce ravissement qu’opère le poème. Le présent demeure la seule issue ; être témoin de l’inquiétude du devenir.
Le monde s’estompe, avec partout l’ombre
qui monte et déborde en flots incertains
et c’est de partout que l’on reçoit l’écho de soi,
à tout moment, ainsi que les écholalies de la mer.
En un sens, ce livre réconcilie, tout du moins réunit l’auteur avec lui-même et avec son lecteur aussi, devant la porte des questions qui surviennent lorsqu’on envieillit. Il persiste, comme tragique dionysiaque, une atmosphère de fin de fête, le goût aigre et doux de l’existence qui a passé. Il reste l’écume, peut-être la légèreté d’un gaz, une réalité ourdie sous une gaze, le vêtement fin de l’être.
Didier Ayres
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