Sur Dieu, Rainer Maria Rilke (par Didier Ayres)
Sur Dieu, Rainer Maria Rilke, Arfuyen, septembre 2021, trad. allemand, Gérard Pfister, 123 pages, 14 €
AH, N’ÊTRE PAS SÉPARÉ
Dieu sien
C’est tout à une métaphysique que ces écrits spirituels de Rilke nous mandent. Ils auraient pu s’intituler : Que sais-je en Dieu ? Car pour le poète autrichien, compte surtout le parcours de l’homme vers Dieu. Regarder la mort, prendre en compte l’invisible, étudier sa foi, évoquer la vie, tout cela conduit à la divinité. Mais à une divinité personnelle et nullement grégaire ou moutonnière. Donc un lien à une religiosité profonde et active, et non pas routinière ou sociale. C’est la charnière axiologique qui articule, à mon sens ici, l’édification spirituelle du croyant.
Donc, avec Rilke il est possible d’envisager le mystère ou le chant, l’énigme ou la prière. Dieu se livre par une espèce d’illumination. En tout cas, est une représentation intérieure. C’est là, dans le monde du dedans, que gît la déité.
Qui sait, je me demande, si nous n’approchons pas toujours les dieux, pour ainsi dire, à revers, séparés du sublime rayonnement de leur face par rien d’autre qu’eux-mêmes, tout proches du regard auquel nous aspirons mais nous tenant juste derrière lui. Mais que veut dire cela, sinon que notre visage et la face divine regardent dans la même direction, sont unis ; et comment pourrions-nous, en effet, approcher le dieu par l’espace qu’il a devant lui ?
Je dirais que cela fonctionne comme le regard chez Lucrèce, celui-ci partant du principe que le regard est une pellicule qui se jette de l’œil jusqu’aux choses. Pour Rilke on pourrait imaginer que cette pellicule se jette sur la forme divine, comme un contenant de langage capable de retenir, dans une sorte d’éclat intime, le vin/le verbe de l’esprit saint. C’est à une pensée sauvage, à mon avis, que nous avons affaire, pensée qui peut dénoncer aussi les faiblesses du clergé au sujet de la vraie édification des croyants.
Il faut d’abord trouver Dieu quelque part, en faire l’expérience comme infiniment, absolument, immensément présent – peu importe ce qu’on éprouve alors à son égard, de la crainte, de l’effroi, de la stupeur ou, finalement, de l’amour.
Et puis, ou surtout peut-être, il reste de ce livre plein et dense une écriture magnifique et qui sait ménager ses images, fluide et hantée, musicale mais sans exagération. En un sens, c’est presque une œuvre lyrique, un oratorio. Car c’est un chant sans emphase qui agit, mettant en valeur un souffle, le souffle du poète, musique dirais-je, silencieuse, juste animée d’une petite lumière, celle du pupitre du poète, celui, disons, d’un génie littéraire.
Didier Ayres
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