Spécial Silvaine Arabo, Collectif (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Spécial Silvaine Arabo, Collectif (Michel Host et all), 489ème Encres Vives, mai 2019, 16 pages, 6,10 €
Edition: Encres vives
Michel Host et ses confrères prouvent qu’on se tromperait lourdement en limitant l’œuvre poétique et picturale de Silvaine Arabo à la description ou à l’évocation d’évènements ou de lieux qui renverraient simplement à la biographie de la poétesse de Charente. Pourrait-on même en parler au titre de matériau de base ? Ce palimpseste ne remplit-il pas plutôt avec ce qu’il dévoile l’office d’éléments déclencheurs ? Car plus que d’un « esto memor » (je me souviens), il s’agit de la déstructuration de la réalité vue et éprouvée au profit de la re-création par le verbe et par-delà l’absence d’un asile de légendes à la lisière d’un temps passé et afin de fomenter avec lui des « épousailles tendres » là où
« les glaçons charrient
l’eau des étangs. Sous la lune
(d’)une aube attentive »
D’où d’ailleurs le mot de « palimpseste » qui porte en lui la notion même de réécriture. Cette dernière n’a de cesse de jouer dans les textes de Silvaine Arabo sur une ambivalence énonciative que soulignent Michel Host, Paul Sanda, Michel Camus. Ils précisent que la célébration mêle sans cesse les opposées : mers et monts, l’ombre et la lumière par exemple.
On pourrait alors, afin de mieux expliquer ce qui se passe dans de telles œuvres, prendre deux titres (l’un rejeté, l’autre retenu) de Rimbaud. « D’études néantes » surgissent en effet des « illuminations », d’autant que Silvaine Arabo est attachée à une conception particulière du langage : il s’agit pour elle de rendre présent ce qui n’est plus là. Et si la poétesse n’octroie pas aux mots un pouvoir magique, elle leur accorde cependant une puissance de voyance : dire et voir possèdent d’ailleurs pour elle une signification identique – d’autant que sous la poétesse se cache toujours l’artiste-peintre.
Mais contrairement à Rimbaud, afin de « fixer les vertiges », il ne lui est pas nécessaire d’hypostasier sur l’être en son devenir. L’exploration demeure au plus près de son corps et de ses sensations :
« Frontières intimes.
Se glisse dans maint repli
La chaleur des corps ».
Cela suffit à problématiser un moi qui pour être « je » n’a plus besoin d’être « un autre ». Surgir au monde demeure ce qui intéresse le plus celle qui continue d’aller vers l’identité accomplie de qui elle et de qui nous sommes. Dès lors, Silvaine Arabo par son palimpseste ne cherche pas à contenir l’absence : elle en définit les contours, les lieux et leurs charges complexes. Et si la vraie vie est absente ou est presque retirée, il en va du devoir de mémoire de l’arracher à sa nuit. C’est ainsi que pour l’auteure, l’être échappe au simulacre afin de brûler – jusque dans la force de l’âge qui fait de nous le peu qu’on est, et qui nous happe – dans un désir de temps sans ombrage afin de remplacer de notre passé fuyant en une sorte d’éternel présent ou d’instant avenir.
Jean-Paul Gavard-Perret
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