Sous l’œil de Dieu, Jerome Charyn
Sous l’œil de Dieu, février 2016, trad. anglais (USA) Marc Chénetier, 288 pages, 9 €
Ecrivain(s): Jerome Charyn Edition: Rivages/noir
Auteur ultra-prolifique, avec plus de cinquante volumes à son actif, principalement des romans et quelques recueils de nouvelles, Jerome Charyn (1937) est considéré comme l’un des piliers de la littérature américaine de la seconde moitié du vingtième siècle, célébré tant par ses pairs que par la critique, celle-ci n’hésitant pas à le qualifier de « Balzac américain contemporain ». En France, il a même reçu le titre de Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres. Tout cela est très engageant, et quelques excellents souvenirs de lecture, s’ils ne corroborent pas exactement toutes les louanges reçues, font foi que Charyn fait partie des auteurs qui comptent.
C’est donc avec une délectation anticipée qu’on ouvre Sous l’œil de Dieu (2012), dernière en date des histoires suivant un des personnages clés de l’œuvre de Charyn, Isaac Sidel, un flic new-yorkais ayant, au fil des romans dont il est le héros, gravi les échelons jusqu’à devenir Maire de la Grosse Pomme et, dans le présent roman, s’attaquer à la Maison Blanche. Il a en effet été choisi pour assurer la vice-présidence de J. Michael Storm, le président élu, et celui-ci, sombrant peu à peu, s’apprête à endosser le rôle de dirigeant de la nation la plus puissante du monde.
Bien évidemment, cela ne peut se produire sans embûches diverses, la pègre comme le CND (Comité National Démocrate) s’en mêlant, ainsi qu’un tueur à gages prétendant être l’œil de Dieu (d’où le titre), plus des rumeurs potentielles sur une relation pédophilique avec Marianna Storm (une gamine de douze ans qui adore Sidel autant que celui-ci l’adore, mais en tout bien tout honneur) et une plongée dans le passé criminel de New-York au travers d’un immeuble mythique, l’Ansonia, et du successeur désigné d’Arthur Rothstein, un certain David Pearl.
Tout cela serait passionnant si l’on parvenait seulement à s’attacher à l’un ou l’autre personnage, si l’on n’avait pas l’impression fâcheuse que Charyn complexifie à dessein son intrigue, entremêlant les fils narratifs sans qu’on voie très bien où il veut en venir – sauf à la fin du roman, bien sûr. Attention, que les choses soient claires : Charyn maîtrise son art, c’est le moins qu’on puisse dire, et le puzzle s’élabore peu à peu avec beaucoup d’intelligence – mais un peu trop peut-être, justement. Charyn ne laisse pas le lecteur respirer, qui est sans cesse sollicité, prié de garder le moindre fait, la moindre information (et il y en a, mazette, il y en a !…) en mémoire afin de ne pas perdre le fil.
Entre les manigances des démocrates, celles du président sortant, celles d’un roi de la pègre névrosé qui ne sort jamais de son repère (ou alors en pantoufles et pull bouffé aux mites), sans parler de l’armée qui s’en mêle discrètement, elle qui veut installer une base aux portes de New-York, on se dit que le pauvre Sidel devrait avoir le tournis et, à l’image du lecteur peu habitué à pareille accumulation, demander une pause. Une pause destinée par exemple à approfondir tel ou tel sujet, car là est probablement le plus gros problème de ce roman : à trop vouloir accumuler d’éléments narratifs en moins de trois cents pages, Charyn n’en développe aucun jusqu’au bout, n’approfondit pas des sujets qui pourraient être passionnants et donneraient à eux seuls suffisamment à penser à un Sidel surhomme et tout à fait irréel dans L’œil de Dieu ; en particulier, une attention plus grande aurait pu être accordée à l’histoire de la pègre new-yorkaise – mais il est vrai que Nick Tosches s’y est déjà attelé avec son très bon roman, Le Roi des Juifs.
Quoi qu’il en soit, on réservera ce roman-ci aux inconditionnels de Charyn, les autres risquant de toute façon de passer à côté d’un certain nombre de références, entre autres celles faites à la fille du personnage principal, cette Marilyn qui, dingue, donna son titre à un roman d’une tout autre trempe que celui-ci.
Didier Smal
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