Souffles. Les enfants ont grandi !
Les enfants ont grandi ! Ceux qui sont nés au premier lever du soleil, du premier jour de l'indépendance, ont aujourd'hui cinquante ans ! Depuis que le coq du village a chanté l'heure de l'aube de l'indépendance, quelques rêves ont vieilli ! D'autres se sont rouillés ! D'autres encore ont fleuri ! Nos grands-pères, nos pères, littéraires ou génitaux, tous, un jour ont pris le chemin vers le levant pour récolter les étoiles ! La liberté ! Ils avaient une autre image de l'Algérie. Leur Algérie. Ils l'avaient imaginée libre, plurielle et moderne. Un demi-siècle après, et depuis le lancement du premier youyou d'une femme aux pieds nus noyés dans la boue, la tête et le cœur dans la liesse, je me demande : vivons-nous dans le rêve qui hantait cette femme, vivons-nous le symbolique de ce youyou d'indépendance ? Certes, cette femme campagnarde analphabète vénérait, comme toutes nos grands-mères et nos mères, la lumière de la lettre “el harf”.
Aujourd'hui nous avons huit millions d'écoliers, peut-être un peu plus, mais la quantité ne fait pas le rêve de cette femme-là. L'école est sinistrée et la femme au youyou est abattue. Certes, parce qu'elle apprenait des centaines de contes et des histoires fabuleuses, cette femme au youyou aimait le voyage, imaginait ses enfants et ses petits-enfants partir un jour visiter le monde, celui installé sur l'autre rive. Mais cette femme au youyou n'a jamais imaginé qu'un jour d'indépendance, ses enfants seront offerts aux requins et au sel de la mer. Et la femme au youyou est triste.
Certes, nous avons refait une Algérie, mais ce n'est jamais celle rêvée par Kateb Yacine, Mohammed Dib, Bachir Hadj-Ali, Moufdi Zakariya, Jean Sénac ou Malek Haddad…
La souffrance cisèle les hommes. Les vrais ! Et les Algériens sont pétris dans la peine et la tourmente. La souffrance parfait aussi “les belles lettres”. Elle taille les belles plumes d'un roseau magique. L'histoire ! Ainsi jaillissent les beaux livres ceux qui ressemblent aux grands martyrs : Nedjma de Kateb Yacine, Qui se souvient de la mer de Mohammed Dib, Les enfants du nouveau monde de Assia Djebar, Le témoin de Djamel Amrani, L'As de Tahar Ouatar, L'élève et la leçon de Malek Haddad, Le démantèlement de Rachid Boudjedra.. Le mythe de la révolution algérienne n'a pas forgé uniquement des littérateurs algériens, mais il a enfanté aussi des écrivains maghrébins, arabes et européens : Driss Chraïbi, Edouard Amran Al-Maleh, Souleimane Al-Aïssa, Malak Abiadh Al-Aïssa, Al-Jawahiri, Nizar Kabbani, Badr Chakeer Assiyab, Abdel Wahab Al-Biyyati, Abderrahmane Al-Khamissi, Adonis, Mahmoud Darwich, Samih Al-Kacem, Kacem Haddad, Abdel Mouati Hidjazi…
Il n'y a pas un seul poète arabe, un vrai poète, qui n'ait pas chanté et mémorisé la révolution algérienne. L'Algérie contemporaine, depuis Isabelle Eberhart et Jules Roy en passant par Albert Camus, Jean Daniel, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Frantz Fanon, Edouard Glissant, Nancy Huston…. et jusqu'à Alexis Jenni auteur de L'art français de la guerre, Prix Goncourt 2011, fascine, questionne et intrigue le texte. Elle séduit le roman. Des figures révolutionnaires, des martyrs ou des moujahidine, à l'image de Larbi Ben M'hidi, Ahmed Zabana, Ben Bella ou Djamila Bouhired… sont métamorphosées en icônes dans la littérature maghrébine, arabe et universelle. Même si elle a raté une partie de son image incarnée dans le youyou de cette femme campagnarde, l'Algérie, continue à séduire les écrivains, les poètes et les historiens dans ses moments durs comme dans ses moments de liesse.
Afin qu'il ne se transforme pas en automne, il est recommandé aux émeutiers de ce Printemps arabe, de relire l'histoire de cette Algérie, de méditer sur son parcours dans la guerre comme dans l'après-guerre.
Amin Zaoui
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